Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non une conversation suivie, mais si vous échangez seulement quelques mots, enfin si vous la laissez vous interroger, si vous manquez au rôle muet que je vous donne, et qui certes est facile à jouer, sachez-le bien, dit-elle d’un ton grave, vous la perdriez à jamais.

— Je ne comprends rien à ce que vous me dites, Camille, s’écria Calyste en la regardant avec une adorable naïveté.

— Si tu comprenais, tu ne serais plus l’enfant sublime, le noble et beau Calyste, répondit-elle en lui prenant la main et en la lui baisant.

Calyste fit alors ce qu’il n’avait jamais fait, il prit Camille par la taille et la baisa au cou mignonnement, sans amour, mais avec tendresse et comme il embrassait sa mère. Mademoiselle des Touches ne put retenir un torrent de larmes.

— Allez-vous-en, mon enfant, et dites à votre vicomtesse que ma voiture est à ses ordres.

Calyste voulut rester, mais il fut contraint d’obéir au geste impératif et impérieux de Camille ; il revint tout joyeux, il était sûr d’être aimé sous huit jours par la belle Rochegude. Les joueurs de mouche retrouvèrent en lui le Calyste perdu depuis deux mois. Charlotte s’attribua le mérite de ce changement. Mademoiselle de Pen-Hoël fut charmante d’agacerie avec Calyste. L’abbé Grimont cherchait à lire dans les yeux de la baronne la raison du calme qu’il y voyait. Le chevalier du Halga se frottait les mains. Les deux vieilles filles avaient la vivacité de deux lézards. La vicomtesse devait cent sous de mouches accumulées. La cupidité de Zéphirine était si vivement intéressée qu’elle regretta de ne pas voir les cartes, et décocha quelques paroles vives à sa belle-sœur, à qui le bonheur de Calyste causait des distractions, et qui par moments l’interrogeait sans pouvoir rien comprendre à ses réponses. La partie dura jusqu’à onze heures. Il y eut deux défections : le baron et le chevalier s’endormirent dans leurs fauteuils respectifs. Mariotte avait fait des galettes de blé noir, la baronne alla chercher sa boîte à thé. L’illustre maison du Guénic servit, avant le départ des Kergarouët et de mademoiselle de Pen-Hoël, une collation composée de beurre frais, de fruits, de crème, et pour laquelle on sortit du bahut la théière d’argent et les porcelaines d’Angleterre envoyées à la baronne par une de ses tantes. Cette apparence de splendeur moderne dans cette vieille salle, la grâce exquise de la baronne, élevée