Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/417

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en bonne Irlandaise à faire et à servir le thé, cette grande affaire des Anglaises, eurent je ne sais quoi de charmant. Le luxe le plus effréné n’aurait pas obtenu l’effet simple, modeste et noble que produisait ce sentiment d’hospitalité joyeuse. Quand il n’y eut plus dans cette salle que la baronne et son fils, elle regarda Calyste d’un air curieux.

— Que t’est-il arrivé ce soir aux Touches ? lui dit-elle.

Calyste raconta l’espoir que Camille lui avait mis au cœur et ses bizarres instructions.

— La pauvre femme ! s’écria l’Irlandaise en joignant les mains et plaignant pour la première fois mademoiselle des Touches.

Quelques moments après le départ de Calyste, Béatrix, qui l’avait entendu partir des Touches, revint chez son amie qu’elle trouva les yeux humides, à demi renversée sur un sofa.

— Qu’as-tu, Félicité ? lui demanda la marquise.

— J’ai quarante ans et j’aime, ma chère ! dit avec un horrible accent de rage mademoiselle des Touches dont les yeux devinrent secs et brillants. Si tu savais, Béatrix, combien de larmes je verse sur les jours perdus de ma jeunesse ! Être aimée par pitié, savoir qu’on ne doit son bonheur qu’à des travaux pénibles, à des finesses de chatte, à des piéges tendus à l’innocence et aux vertus d’un enfant, n’est-ce pas infâme ? Heureusement on trouve alors une espèce d’absolution dans l’infini de la passion, dans l’énergie du bonheur, dans la certitude d’être à jamais au-dessus de toutes les femmes en gravant son souvenir dans un jeune cœur par des plaisirs ineffaçables, par un dévouement insensé. Oui, s’il me le demandait, je me jetterais dans la mer à un seul de ses signes. Par moments, je me surprends à souhaiter qu’il le veuille, ce serait une offrande et non un suicide… Ah ! Béatrix, tu m’as donné une rude tâche en venant ici. Je sais qu’il est difficile de l’emporter sur toi ; mais tu aimes Conti, tu es noble et généreuse, et tu ne me tromperas pas ; tu m’aideras au contraire à conserver mon Calyste. Je m’attendais à l’impression que tu fais sur lui, mais je n’ai pas commis la faute de paraître jalouse, ce serait attiser le mal. Au contraire, je t’ai annoncée en te peignant avec de si vives couleurs que tu ne pusses jamais réaliser le portrait, et par malheur tu es embellie.

Cette violente élégie, où le vrai se mêlait à la tromperie, abusa complétement madame de Rochegude. Claude Vignon avait dit à