Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/435

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quise. Madame du Guénic avait la lettre de madame de Rochegude gravée dans le cœur : elle voulut savoir à quoi s’en tenir sur les espérances de Calyste. Vers cette heure le chevalier du Halga promenait sa chienne sur le mail ; la baronne, sûre de l’y trouver, mit un chapeau, son châle, et sortit. Voir la baronne du Guénic dans Guérande ailleurs qu’à l’église, ou dans les deux jolis chemins affectionnés pour la promenade les jours de fête, quand elle y accompagnait son mari et mademoiselle de Pen-Hoël, était un événement si remarquable que, dans toute la ville, deux heures après, chacun s’abordait en disant : — Madame du Guénic est sortie aujourd’hui, l’avez-vous vue ?

Aussi bientôt cette nouvelle arriva-t-elle aux oreilles de mademoiselle de Pen-Hoël, qui dit à sa nièce : — Il se passe quelque chose de bien extraordinaire chez les du Guénic.

— Calyste est amoureux fou de la belle marquise de Rochegude, dit Charlotte, je devrais quitter Guérande et retourner à Nantes.

En ce moment le chevalier du Halga, surpris d’être cherché par la baronne, avait détaché la laisse de Thisbé, reconnaissant l’impossibilité de se partager.

— Chevalier, vous avez pratiqué la galanterie ? dit la baronne.

Le capitaine du Halga se redressa par un mouvement passablement fat. Madame du Guénic, sans rien dire de son fils ni de la marquise, expliqua la lettre d’amour en demandant quel pouvait être le sens d’une pareille réponse. Le chevalier tenait le nez au vent et se caressait le menton ; il écoutait, il faisait de petites grimaces ; enfin il regarda fixement la baronne d’un air fin.

— Quand les chevaux de race doivent franchir les barrières, ils viennent les reconnaître et les flairer, dit-il. Calyste sera le plus heureux coquin du monde.

— Chut ! dit la baronne.

— Je suis muet. Autrefois je n’avais que cela pour moi, dit le vieux chevalier. Le temps est beau, reprit-il après une pause, le vent est nord-est. Tudieu ! comme la Belle-Poule vous pinçait ce vent-là le jour où… Mais, dit-il en s’interrompant, mes oreilles sonnent, et je sens des douleurs dans les fausses côtes, le temps changera. Vous savez que le combat de la Belle-Poule a été si célèbre que les femmes ont porté des bonnets à la Belle-Poule. Madame de Kergarouët est venue la première à l’Opéra avec cette