Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/437

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ment où je vous ai vue. Mais vous m’avez démontré que Camille est un garçon : elle nage, elle chasse, elle monte à cheval, elle fume, elle boit, elle écrit, elle analyse un cœur et un livre, elle n’a pas la moindre faiblesse, elle marche dans sa force ; elle n’a ni vos mouvements déliés, ni votre pas qui ressemble au vol d’un oiseau, ni votre voix d’amour, ni vos regards fins, ni votre allure gracieuse ; elle est Camille Maupin, et pas autre chose ; elle n’a rien de la femme, et vous en avez toutes les choses que j’en aime ; il m’a semblé, dès le premier jour où je vous ai vue, que vous étiez à moi. Vous rirez de ce sentiment, mais il n’a fait que s’accroître, il me semblerait monstrueux que nous fussions séparés : vous êtes mon âme, ma vie, et je ne saurais vivre où vous ne seriez pas. Laissez-vous aimer ! nous fuirons, nous nous en irons bien loin du monde, dans un pays où vous ne rencontrerez personne, et où vous pourrez n’avoir que moi et Dieu dans le cœur. Ma mère, qui vous aime, viendra quelque jour vivre auprès de nous. L’Irlande a des châteaux, et la famille de ma mère m’en prêtera bien un. Mon Dieu, partons ! Une barque, des matelots, et nous y serions cependant avant que personne pût savoir où nous aurions fui ce monde que vous craignez tant ! Vous n’avez pas été aimée ; je le sens en relisant votre lettre, et j’y crois deviner que, s’il n’existait aucune des raisons dont vous parlez, vous vous laisseriez aimer par moi. Béatrix, un saint amour efface le passé. Peut-on penser à autre chose qu’à vous, en vous voyant ? Ah ! je vous aime tant que je vous voudrais mille fois infâme afin de vous montrer la puissance de mon amour en vous adorant comme la plus sainte des créatures. Vous appelez mon amour une injure pour vous. Oh ! Béatrix, tu ne le crois pas ! l’amour d’un noble enfant, ne m’appelez-vous pas ainsi ? honorerait une reine. Ainsi demain nous irons en amants le long des roches et de la mer, et vous marcherez sur les sables de la vieille Bretagne pour les consacrer de nouveau pour moi ! Donnez-moi ce jour de bonheur ; et cette aumône passagère, et peut-être, hélas ! sans souvenir pour vous, sera pour Calyste une éternelle richesse… »

La baronne laissa tomber la lettre sans l’achever, elle s’agenouilla sur une chaise et fit à Dieu une oraison mentale en lui demandant de conserver à son fils l’entendement, d’écarter de lui toute folie, toute erreur, et de le retirer de la voie où elle le voyait.

— Que fais-tu là, ma mère ? dit Calyste.

— Je prie Dieu pour toi, dit-elle en lui montrant ses yeux pleins