Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/439

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de larmes. Je viens de commettre la faute de lire cette lettre. Mon Calyste est fou !

— De la plus douce des folies, dit le jeune homme en embrassant sa mère.

— Je voudrais voir cette femme, mon enfant.

— Hé ! bien, maman, dit Calyste, nous nous embarquerons demain pour aller au Croisic, sois sur la jetée.

Il cacheta sa lettre et partit pour les Touches. Ce qui, par-dessus toute chose, épouvantait la baronne, était de voir le sentiment arriver par la force de son instinct à la seconde vue d’une expérience consommée. Calyste venait d’écrire à Béatrix comme si le chevalier du Halga l’avait conseillé.

Peut-être une des plus grandes jouissances que puissent éprouver les petits esprits ou les êtres intérieurs est-elle de jouer les grandes âmes et de les prendre à quelque piége. Béatrix savait être bien au-dessous de Camille Maupin. Cette infériorité n’existait pas seulement dans cet ensemble de choses morales appelé talent, mais encore dans les choses du cœur nommées passion. Au moment où Calyste arrivait aux Touches avec l’impétuosité d’un premier amour porté sur les ailes de l’espérance, la marquise éprouvait une joie vive de se savoir aimée par cet adorable jeune homme. Elle n’allait pas jusqu’à vouloir être complice de ce sentiment, elle mettait son héroïsme à comprimer ce capriccio, disent les Italiens, et croyait alors égaler son amie ; elle était heureuse d’avoir à lui faire un sacrifice. Enfin les vanités particulières à la femme française et qui constituent cette célèbre coquetterie d’où elle tire sa supériorité, se trouvaient caressées et pleinement satisfaites chez elle : livrée à d’immenses séductions, elle y résistait, et ses vertus lui chantaient à l’oreille un doux concert de louanges. Ces deux femmes, en apparence indolentes, étaient à demi couchées sur le divan de ce petit salon plein d’harmonies, au milieu d’un monde de fleurs et la fenêtre ouverte, car le vent du nord avait cessé. Une dissolvante brise du sud pailletait le lac d’eau salée que leurs yeux pouvaient voir, et le soleil enflammait les sables d’or. Leurs âmes étaient aussi profondément agitées que la nature était calme, et non moins ardentes. Broyée dans les rouages de la machine qu’elle mettait en mouvement, Camille était forcée de veiller sur elle-même, à cause de la prodigieuse finesse de l’amicale ennemie qu’elle avait mise dans sa cage ; mais pour ne pas donner son secret, elle se livrait à des