Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, certes.

— Tant mieux, répondit Camille. Moi je l’aime, et beaucoup trop pour mon repos. Peut-être a-t-il pour vous un caprice, vous êtes la plus délicieuse blonde du monde, et moi je suis noire comme une taupe ; vous êtes svelte, élancée, et moi j’ai trop de dignité dans la taille ; enfin vous êtes jeune ! voilà le grand mot, et vous ne me l’avez pas épargné. Vous avez abusé de vos avantages de femme contre moi, ni plus ni moins qu’un petit journal abuse de la plaisanterie. J’ai tout fait pour empêcher ce qui arrive, dit-elle en levant les yeux au plafond. Quelque peu femme que je sois, je le suis encore assez, ma chère, pour qu’une rivale ait besoin de moi-même pour l’emporter sur moi… (La marquise fut atteinte au cœur par ce mot cruel dit de la façon la plus innocente.) Vous me prenez pour une femme bien niaise en croyant de moi ce que Calyste veut vous en faire croire. Je ne suis ni si grande ni si petite, je suis femme et très femme. Quittez vos grands airs et donnez-moi la main, dit Camille en s’emparant de la main de Béatrix. Vous n’aimez pas Calyste, voilà la vérité, n’est-ce pas ? Ne vous emportez donc point ! Soyez dure, froide et sévère avec lui demain, il finira par se soumettre après la querelle que je vais lui faire, et surtout après le raccommodement, car je n’ai pas épuisé les ressources de notre arsenal, et, après tout, le Plaisir a toujours raison du Désir. Mais Calyste est Breton. S’il persiste à vous faire la cour, dites-le-moi franchement, et vous irez dans une petite maison de campagne que je possède à six lieues de Paris, où vous trouverez toutes les aises de la vie, et où Conti pourra venir. Que Calyste me calomnie, eh ! mon Dieu ! l’amour le plus pur ment six fois par jour, ses impostures accusent sa force.

Il y eut dans la physionomie de Camille un air de superbe froideur qui rendit la marquise inquiète et craintive. Elle ne savait que répondre. Camille lui porta le dernier coup.

— Je suis plus confiante et moins aigre que vous, reprit Camille, je ne vous suppose pas l’intention de couvrir par une récrimination une attaque qui compromettrait ma vie : vous me connaissez, je ne survivrai pas à la perte de Calyste, et je dois le perdre tôt ou tard. Calyste m’aime d’ailleurs, je le sais.

— Voilà ce qu’il répondait à une lettre où je ne lui parlais que de vous, dit Béatrix en tendant la lettre de Calyste.

Camille la prit et la lut ; mais, en la lisant, ses yeux s’emplirent