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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/459

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le moindre orage aux Touches. Félicité s’effaça complétement. Les femmes froides, frêles, dures et minces, comme est madame de Rochegude, ces femmes, dont le cou offre une attache osseuse qui leur donne une vague ressemblance avec la race féline, ont l’âme de la couleur pâle de leurs yeux clairs, gris ou verts ; aussi, pour fondre, pour vitrifier ces cailloux, faut-il des coups de foudre. Pour Béatrix, la rage d’amour et l’attentat de Calyste avaient été ce coup de tonnerre auquel rien ne résiste et qui change les natures les plus rebelles. Béatrix se sentait intérieurement mortifiée, l’amour pur et vrai lui baignait le cœur de ses molles et fluides ardeurs. Elle vivait dans une douce et tiède atmosphère de sentiments inconnus où elle se trouvait agrandie, élevée ; elle entrait dans les cieux où la Bretagne a, de tout temps, mis la femme. Elle savourait les adorations respectueuses de cet enfant dont le bonheur lui coûtait peu de chose, car un geste, un regard, une parole satisfaisaient Calyste. Ce haut prix donné par le cœur à ces riens la touchait excessivement. Son gant effleuré pouvait devenir pour cet ange plus que toute sa personne n’était pour celui par qui elle aurait dû être adorée. Quel contraste ! Quelle femme aurait pu résister à cette constante déification ? Elle était sûre d’être obéie et comprise. Elle eût dit à Calyste de risquer sa vie pour le moindre de ses caprices, il n’eût même pas réfléchi. Aussi Béatrix prit-elle je ne sais quoi de noble et d’imposant ; elle vit l’amour du côté de ses grandeurs, elle y chercha comme un point d’appui pour demeurer la plus magnifique de toutes les femmes aux yeux de Calyste, sur qui elle voulut avoir un empire éternel. Ses coquetteries furent alors d’autant plus tenaces qu’elle se sentit plus faible. Elle joua la malade pendant toute une semaine avec une charmante hypocrisie. Combien de fois ne fit-elle pas le tour du tapis vert qui s’étendait devant la façade des Touches sur le jardin, appuyée sur le bras de Calyste et rendant alors à Camille les souffrances qu’elle lui avait données pendant la première semaine de son séjour.

— Ah ! ma chère, tu lui fais faire le grand tour, dit mademoiselle des Touches à la marquise.

Avant la promenade au Croisic, un soir ces deux femmes devisaient sur l’amour et riaient des différentes manières dont s’y prenaient les hommes pour faire leurs déclarations, en s’avouant à elles-mêmes que les plus habiles et naturellement les moins aimants ne s’amusaient pas à se promener dans le labyrinthe de la sensiblerie, et