Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/462

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bonheur complet ; entre se perdre à jamais par une seconde passion impardonnable, et le pardon social. Elle commençait à écouter, sans aucune fâcherie même jouée, les discours d’un amour aveugle ; elle se laissait caresser par les douces mains de la Pitié. Déjà plusieurs fois elle avait été émue aux larmes en écoutant Calyste lui promettant de l’amour pour tout ce qu’elle perdrait aux yeux du monde, et la plaignant d’être attachée à un aussi mauvais génie, à un homme aussi faux que Conti. Plus d’une fois elle n’avait pas fermé la bouche à Calyste quand elle lui contait les misères et les souffrances qui l’avaient accablée en Italie en ne se voyant pas seule dans le cœur de Conti. Camille avait à ce sujet fait plus d’une leçon à Calyste et Calyste en profitait.

— Moi, lui disait-il, je vous aimerai absolument ; vous ne trouverez pas chez moi les triomphes de l’art, les jouissances que donne une foule émue par les merveilles du talent ; mon seul talent sera de vous aimer, mes seules jouissances seront les vôtres, l’admiration d’aucune femme ne me paraîtra mériter de récompense ; vous n’aurez pas à redouter d’odieuses rivalités ; vous êtes méconnue, et là où l’on vous accepte, moi je voudrais me faire accepter tous les jours.

Elle écoutait ces paroles la tête baissée, en lui laissant baiser ses mains, en avouant silencieusement, mais de bonne grâce, qu’elle était peut-être un ange méconnu.

— Je suis trop humiliée, répondait-elle, mon passé dépouille l’avenir de toute sécurité.

Ce fut une belle matinée pour Calyste que celle où, en venant aux Touches à sept heures du matin, il aperçut entre deux ajoncs, à une fenêtre, Béatrix coiffée du même chapeau de paille qu’elle portait le jour de leur excursion. Il eut comme un éblouissement. Ces petites choses de la passion agrandissent le monde. Peut-être n’y a-t-il que les Françaises qui possèdent les secrets de ces coups de théâtre ; elles les doivent aux grâces de leur esprit, elles savent en mettre dans le sentiment autant qu’il peut en accepter sans perdre de sa force. Ah ! combien elle pesait peu sur le bras de Calyste. Tous deux, ils sortirent par la porte du jardin qui donne sur les dunes. Béatrix trouva les sables jolis ; elle aperçut alors ces petites plantes dures à fleurs roses qui y croissent, elle en cueillit plusieurs auxquelles elle joignit l’œillet des Chartreux qui se trouve également dans ces sables arides, et les partagea d’une façon significative