Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/473

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Charlotte regarda sévèrement monsieur du Halga, qu’elle trouva le soir de très mauvais ton, immoral, dépravé, sans religion, et ridicule avec sa chienne, malgré les observations de sa tante qui défendit le vieux marin.

— Demain matin, je chapitrerai Calyste, dit le baron que l’on croyait endormi ; je ne voudrais pas m’en aller de ce monde sans avoir vu mon petit-fils, un Guénic blanc et rose, coiffé d’un béguin breton dans son berceau.

— Il ne dit pas un mot, dit la vieille Zéphirine, on ne sait ce qu’il a ; jamais il n’a moins mangé ; de quoi vit-il ? s’il se nourrit aux Touches, la cuisine du diable ne lui profite guère.

— Il est amoureux, dit le chevalier en risquant cette opinion avec une excessive timidité.

— Allons ! vieux roquentin, vous n’avez pas mis au panier, dit mademoiselle de Pen-Hoël. Quand vous pensez à votre jeune temps, vous oubliez tout.

— Venez déjeuner avec nous demain matin, dit la vieille Zéphirine à Charlotte et à Jacqueline, mon frère raisonnera son fils, et nous conviendrons de tout. Un clou chasse l’autre.

— Pas chez les Bretons, dit le chevalier.

Le lendemain Calyste vit venir Charlotte, mise dès le matin avec une recherche extraordinaire, au moment où le baron achevait dans la salle à manger un discours matrimonial auquel il ne savait que répondre : il connaissait l’ignorance de sa tante, de son père, de sa mère et de leurs amis ; il récoltait les fruits de l’arbre de science, il se trouvait dans l’isolement et ne parlait plus la langue domestique. Aussi demanda-t-il seulement quelques jours à son père, qui se frotta les mains de joie et rendit la vie à la baronne en lui disant à l’oreille la bonne nouvelle. Le déjeuner fut gai. Charlotte, à qui le baron avait fait un signe, fut sémillante. Dans toute la ville filtra par Gasselin la nouvelle d’un accord entre les du Guénic et les Kergarouët. Après le déjeuner, Calyste sortit par le perron de la grande salle et alla dans le jardin, où le suivit Charlotte ; il lui donna le bras et l’emmena sous la tonnelle au fond. Les grands-parents étaient à la fenêtre et les regardaient avec une espèce d’attendrissement. Charlotte se retourna vers la jolie façade, assez inquiète du silence de son promis, et profita de cette circonstance pour entamer la conversation en disant à Calyste : — Ils nous examinent !