Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/178

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VI.
à mademoiselle O. d’Este-M.


« Mademoiselle,

» Sans aucune hypocrisie, oui, si j’avais été certain que vous eussiez une immense fortune, j’aurais agi tout autrement. Pourquoi ? J’en ai cherché la raison, la voici.

» Il est en nous un sentiment inné, développé d’ailleurs outre mesure par la Société, qui nous lance à la recherche, à la possession du bonheur. La plupart des hommes confondent le bonheur avec ses moyens, et la fortune est, à leurs yeux, le plus grand élément du bonheur. J’aurais donc tâché de vous plaire entraîné par le sentiment social qui, dans tous les temps, a fait de la richesse une religion. Du moins, je le crois. On ne doit pas attendre, chez un homme, jeune encore, cette sagesse qui substitue le bon sens à la sensation ; et, devant une proie, l’instinct bestial caché dans le cœur de l’homme, le pousse en avant. Au lieu d’une leçon, vous eussiez donc reçu de moi des compliments, des flatteries. Aurais-je eu ma propre estime ? j’en doute. Mademoiselle, dans ce cas, le succès offre une absolution ; mais le bonheur ?… c’est autre chose. Me serais-je défié de ma femme, si je l’eusse obtenue ainsi ?… Bien certainement. Votre démarche eût repris tôt ou tard son caractère. Votre mari, quelque grand que vous le fassiez, finirait par vous reprocher de l’avoir avili ; vous-même, tôt ou tard, peut-être arriveriez-vous à le mépriser. L’homme ordinaire tranche le nœud gordien que constitue un mariage d’argent avec l’épée de la tyrannie. L’homme fort pardonne. Le poëte se lamente.

» Telle est, mademoiselle, la réponse de ma probité.

» Écoutez-moi bien maintenant. Vous avez eu le triomphe de me faire profondément réfléchir, et sur vous que je ne connais pas assez, et sur moi que je connaissais peu. Vous avez eu le talent de remuer bien des pensées mauvaises qui croupissent au fond de tous les cœurs ; mais il en est sorti chez moi quelque chose de généreux, et je vous salue de mes plus gracieuses bénédictions,