Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/212

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— C’est joli, dit madame Dumay, Modeste est musicienne, voilà tout…

— Elle a le diable au corps, s’écria le caissier à qui le soupçon de la mère entra dans le cœur et donna le frisson.

— Elle aime, répéta madame Mignon.

En réussissant, par le témoignage irrécusable de cette mélodie, à faire partager sa certitude sur l’amour caché de Modeste, madame Mignon troubla la joie que le retour et les succès de son patron causaient au caissier. Le pauvre Breton descendit au Havre y reprendre sa besogne chez Gobenheim ; puis, avant de revenir dîner, il passa chez les Latournelle y exprimer ses craintes et leur demander de nouveau aide et secours.

— Oui, mon cher ami, dit Dumay sur le pas de la porte en quittant le notaire, je suis du même avis que madame : elle aime, c’est sûr, et le diable sait le reste ! Me voilà déshonoré.

— Ne vous désolez pas, Dumay, répondit le petit notaire, nous serons bien, à nous tous, aussi forts que cette petite personne, et, dans un temps donné, toute fille amoureuse commet une imprudence qui la trahit ; mais, nous en causerons ce soir.

Ainsi toutes les personnes dévouées à la famille Mignon furent en proie aux mêmes inquiétudes qui les poignaient la veille avant l’expérience que le vieux soldat avait cru être décisive. L’inutilité de tant d’efforts piqua si bien la conscience de Dumay qu’il ne voulut pas aller chercher sa fortune à Paris avant d’avoir deviné le mot de cette énigme. Ces cœurs, pour qui les sentiments étaient plus précieux que les intérêts, concevaient tous en ce moment que, sans la parfaite innocence de sa fille, le colonel pouvait mourir de chagrin en trouvant Bettina morte et sa femme aveugle. Le désespoir du pauvre Dumay fit une telle impression sur les Latournelle qu’ils en oublièrent le départ d’Exupère que, dans la matinée, ils avaient