Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/235

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une voiture, quand il aperçut dans une magnifique salle à manger un valet vêtu comme un banquier et à qui le groom l’avait adressé, lequel lui répondit, en le toisant, que monsieur le baron n’était pas visible.

— Il y a, dit-il en finissant, séance pour monsieur le baron au Conseil d’État aujourd’hui…

— Suis-je bien, ici, dit Dumay, chez monsieur Canalis, auteur de quelques poésies ?…

— Monsieur le baron de Canalis, répondit le valet de chambre, est bien le grand poëte dont vous parlez ; mais il est aussi Maître des Requêtes au Conseil d’État, et attaché au Ministère des Affaires Étrangères.

Dumay, qui venait pour souffleter un poâcre, selon son expression méprisante, trouvait un haut fonctionnaire de l’État. Le salon où il attendit, remarquable par sa magnificence, offrit à ses méditations la brochette de croix qui brille sur l’habit noir de Canalis laissé sur une chaise par le valet de chambre. Bientôt ses yeux furent attirés par l’éclat et la façon d’une coupe de vermeil, où ces mots : Donné par Madame le frappèrent. Puis en regard, sur un socle, il vit un vase de porcelaine de Sèvres sur lequel était gravé : Donné par madame la Dauphine. Ces avertissements muets firent rentrer Dumay dans son bon sens, pendant que le valet de chambre demandait à son maître s’il voulait recevoir un inconnu, venu tout exprès du Havre pour le voir, un nommé Dumay.

— Qu’est-ce ? dit Canalis.

— Un homme propre, décoré…

Sur un signe d’assentiment, le valet de chambre sortit et revint, il annonça : ─ Monsieur Dumay.

Quand il s’entendit annoncer, quand il fut devant Canalis, au milieu d’un cabinet aussi riche qu’élégant, les pieds sur un tapis tout aussi beau que le plus beau de la maison Mignon, et qu’il reçut le regard apprêté du poëte qui jouait avec les glands de sa somptueuse robe de chambre, Dumay fut si complétement interdit qu’il se laissa interpeller par le grand homme.

— À quoi dois-je l’honneur de votre visite, monsieur ?

— Monsieur… dit Dumay qui resta debout.

— Si vous en avez pour longtemps ? fit Canalis en interrompant, je vous prierai de vous asseoir…

Et Canalis se plongea dans son fauteuil à la Voltaire, se croisa