Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/256

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séjour chez les Vilquin, et il regrettait alors, dit son notaire arrivé de Bayeux hier, qu’elle ne fût pas assez riche pour lui, dont le père n’a retrouvé que son château d’Hérouville, orné d’une sœur, à son retour en France. Le jeune duc a trente-trois ans. Je suis chargé positivement de vous faire des ouvertures, monsieur le comte, dit le notaire en se tournant respectueusement vers le colonel.

— Demandez à Modeste, répondit le père, si elle veut avoir un oiseau de plus dans sa volière ; car, en ce qui me concerne, je consens à ce que monssu le Grand-Écuyer lui rende des soins…

Malgré le soin que Charles Mignon mettait à ne voir personne, à rester au Chalet, à ne jamais sortir sans Modeste, Gobenheim, qu’il eût été difficile de ne plus recevoir au Chalet, avait parlé de la fortune de Dumay, car Dumay, ce second père de Modeste, avait dit à Gobenheim, en le quittant : ─ Je serai l’intendant de mon colonel, et toute ma fortune, hormis ce qu’en gardera ma femme, sera pour les enfants de ma petite Modeste… Chacun, au Havre, avait donc répété cette question si simple que déjà Latournelle s’était faite : ─ « Ne faut-il pas que monsieur Charles Mignon ait une fortune colossale pour que la part de Dumay soit de six cent mille francs, et pour que Dumay se fasse son intendant ? ─ Monsieur Mignon est arrivé sur un vaisseau à lui, chargé d’indigo, disait-on à la Bourse. Ce chargement vaut déjà plus ; sans compter le navire, que ce qu’il se donne de fortune. » Le colonel ne voulut pas renvoyer ses domestiques, choisis avec tant de soin pendant ses voyages, et il fut obligé de louer pour six mois une maison au bas d’Ingouville, car il avait un valet de chambre, un cuisinier et un cocher, nègres tous deux, une mulâtresse et deux mulâtres sur la fidélité desquels il pouvait compter. Le cocher cherchait des chevaux de selle pour mademoiselle, pour son maître, et des chevaux pour la calèche dans laquelle le colonel et le lieutenant étaient revenus. Cette voiture, achetée à Paris, était à la dernière mode, et portait les armes de La Bastie, surmontées d’une couronne comtale. Ces choses, minimes aux yeux d’un homme qui, depuis quatre ans, vivait au milieu du luxe effréné des Indes, des marchands hongs et des Anglais de Canton, furent commentées par les négociants du Havre, par les gens de Graville et d’Ingouville. En cinq jours, ce fut une rumeur éclatante qui fit en Normandie l’effet d’une traînée de poudre quand elle prend feu. ─ « Monsieur Mignon est revenu de la Chine avec des millions, disait-on à Rouen,