Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contenance, tant elle fut suffoquée : ─ C’est moins impertinent que de me prendre pour une sotte. Le changement de vos manières a sa raison dans les niaiseries que le Havre débite, et que Françoise, ma femme de chambre, vient de me répéter.

— Ah ! Modeste, pouvez-vous le croire ? dit Canalis en prenant une pose dramatique. Vous me supposeriez donc alors capable de ne vous épouser que pour votre fortune !

— Si je vous fais cette injure après vos édifiants discours au bord de la Seine, il ne tient qu’à vous de me détromper, et alors je serai tout ce que vous voudrez que je sois, dit-elle en le foudroyant de son dédain.

— Si tu penses me prendre à ce piége, se dit le poëte en la suivant, ma petite, tu me crois plus jeune que je ne le suis. Faut-il donc tant de façons avec une petite sournoise dont l’estime m’importe autant que celle du roi de Bornéo ! Mais, en me prêtant un sentiment ignoble, elle donne raison à ma nouvelle attitude. Est-elle rusée ?… La Brière sera bâté, comme un petit sot qu’il est ; et, dans cinq ans, nous rirons bien de lui avec elle !

La froideur que cette altercation avait jetée entre Canalis et Modeste fut visible le soir même à tous les yeux. Canalis se retira de bonne heure en prétextant de l’indisposition de La Brière, et il laissa le champ libre au Grand-Écuyer. Vers onze heures, Butscha, qui vint chercher sa patronne, dit en souriant tout bas à Modeste. ─ Avais-je raison ?

— Hélas ! oui, dit-elle.

— Mais avez-vous, selon nos conventions, entre-bâillé la porte, de manière qu’il puisse revenir ?

— La colère m’a dominée, répondit Modeste. Tant de lâcheté m’a fait monter le sang au visage, et je lui ai dit son fait.

— Eh bien ! tant mieux. Quand tous deux vous serez brouillés à ne plus vous parler gracieusement, je me charge de le rendre amoureux et pressant à vous tromper vous-même.

— Allons, Butscha, c’est un grand poëte, un gentilhomme, un homme d’esprit.

— Les huit millions de votre père sont plus que tout cela.

— Huit millions ?… dit Modeste.

— Mon patron, qui vend son Étude, va partir pour la Provence afin de diriger les acquisitions que propose Castagnould, le second de votre père. Le chiffre des contrats à faire pour reconstituer la