Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/354

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silencieux, parce que le sommeil les a saisis, l’ambassadeur de France et sa femme, un premier secrétaire d’ambassade qui se croit éteint et malicieux, enfin deux Parisiens qui viennent prendre congé de la consulesse dans un dîner splendide, vous aurez le tableau que présentait la terrasse de la villa vers la mi-mai, tableau dominé par un personnage, par une femme célèbre sur laquelle les regards se concentrent par moments, et l’héroïne de cette fête improvisée. L’un des deux Français était le fameux paysagiste Léon de Lora, l’autre un célèbre critique, Claude Vignon. Tous deux ils accompagnaient cette femme, une des illustrations actuelles du beau sexe, mademoiselle des Touches, connue sous le nom de Camille Maupin dans le monde littéraire. Mademoiselle des Touches était allée à Florence pour affaire. Par une de ces charmantes complaisances qu’elle prodigue, elle avait emmené Léon de Lora pour lui montrer l’Italie, et avait poussé jusqu’à Rome pour lui montrer la campagne de Rome. Venue par le Simplon, elle revenait par le chemin de la Corniche à Marseille. Toujours à cause du paysagiste, elle s’était arrêtée à Gênes. Naturellement le Consul-Général avait voulu faire, avant l’arrivée de la cour, les honneurs de Gênes à une personne que sa fortune, son nom et sa position recommandent autant que son talent. Camille Maupin, qui connaissait Gênes jusque dans ses dernières chapelles, laissa son paysagiste aux soins du diplomate, à ceux des deux marquis génois, et fut avare de ses instants. Quoique l’ambassadeur fût un écrivain très distingué, la femme célèbre refusa de se prêter à ses gracieusetés, en craignant ce que les Anglais appellent une exhibition ; mais elle rentra les griffes de ses refus dès qu’il fut question d’une journée d’adieu à la villa du consul. Léon de Lora dit à Camille que sa présence à la villa était la seule manière qu’il eût de remercier l’ambassadeur et sa femme, les deux marquis génois, le consul et la consulesse. Mademoiselle des Touches fit alors le sacrifice d’une de ces journées de liberté complète qui ne se rencontrent pas toujours à Paris pour ceux sur qui le monde a les yeux.

Maintenant, une fois la réunion expliquée, il est facile de concevoir que l’étiquette en avait été bannie, ainsi que beaucoup de femmes et des plus élevées, curieuses de savoir si la virilité du talent de Camille Maupin nuisait aux grâces de la jolie femme, et si, en un mot, le haut-de-chausses dépassait la jupe. Depuis le dîner jusqu’à neuf heures, moment où la collation fut servie, si la con-