Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/397

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qui ne se feint pas. Ne venez-vous pas de m’apprendre que vous avez été mère, que vous avez eu la douleur de perdre votre enfant ? — Marie ! cria-t-elle brusquement en sonnant. La Gobain se présenta. — De la lumière et le thé, » lui dit-elle avec le sang-froid d’une lady harnachée d’orgueil par cette atroce éducation britannique que vous savez. Quand la Gobain eut allumé les bougies et fermé les persiennes, la comtesse m’offrit un visage muet ; déjà, son indomptable fierté, sa gravité de sauvage avaient repris leur empire ; elle me dit : — « Savez-vous pourquoi j’aime tant lord Byron ?… Il a souffert comme souffrent les animaux. À quoi bon la plainte quand elle n’est pas une élégie comme celle de Manfred, une moquerie amère comme celle de don Juan, une rêverie comme celle de Childe Harold ? on ne saura rien de moi !… Mon cœur est un poëme que j’apporte à Dieu ! — Si je voulais… dis-je. — Si ? répéta-t-elle. — Je ne m’intéresse à rien, répondis-je, je ne puis pas être curieux ; mais, si je le voulais, je saurais demain tous vos secrets. — Je vous en défie ! me dit-elle avec une anxiété mal déguisée. — Est-ce sérieux ? — Certes, me dit-elle en hochant la tête, je dois savoir si ce crime est possible. — D’abord, madame, répondis-je en lui montrant ses mains, ces jolis doigts, qui disent assez que vous n’êtes pas une jeune fille, étaient-ils faits pour le travail ? Puis, vous nommez-vous madame Gobain ? vous qui devant moi, l’autre jour, avez en recevant une lettre dit à Marie : « Tiens, c’est pour toi. » Marie est la vraie madame Gobain. Donc, vous cachez votre nom sous celui de votre intendante. Oh ! madame, de moi, ne craignez rien. Vous avez en moi l’ami le plus dévoué que vous aurez jamais… Ami, entendez-vous bien ? Je donne à ce mot sa sainte et touchante acception, si profanée en France où nous en baptisons nos ennemis. Cet ami, qui vous défendrait contre tout, vous veut aussi heureuse que doit l’être une femme comme vous. Qui sait si la douleur que je vous ai causée involontairement n’est pas une action volontaire ? — Oui, reprit-elle avec une audace menaçante, je le veux, devenez curieux, et dites-moi tout ce que vous pourrez apprendre sur moi ; mais…, fit elle en levant le doigt, vous me direz aussi par quels moyens vous aurez eu ces renseignements. La conservation du faible bonheur dont je jouis ici dépend de vos démarches. — Cela veut dire que vous vous enfuirez… — À tire-d’aile ! s’écria-t-elle, et dans le Nouveau-Monde… — Où vous serez, repris-je en l’in-