Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/40

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En écoutant cette tirade, Béatrix eut une figure plein Nord à faire prendre la Seine si elle l’avait regardée.

— Eh bien, tant mieux, répondit-elle, ça vous la blanchira peut-être.

Et Béatrix devenue sèche comme ses os, inégale comme son teint, aigre comme sa voix, continua sur ce ton par une kyrielle d’épigrammes atroces. Il n’y a pas de plus grande maladresse pour un mari que de parler de sa femme quand elle est vertueuse à sa maîtresse, si ce n’est de parler de sa maîtresse, quand elle est belle, à sa femme. Mais Calyste n’avait pas encore reçu cette espèce d’éducation parisienne qu’il faut nommer la politesse des passions. Il ne savait ni mentir à sa femme, ni dire à sa maîtresse la vérité, deux apprentissages à faire pour pouvoir conduire les femmes. Aussi fut-il obligé d’employer toute la puissance de la passion pour obtenir de Béatrix un pardon sollicité pendant deux heures, refusé par un ange courroucé qui levait les yeux au plafond pour ne pas voir le coupable, et qui débitait les raisons particulières aux marquises d’une voix parsemée de petites larmes très ressemblantes, furtivement essuyées avec la dentelle du mouchoir.

— Me parler de votre femme presque le lendemain de ma faute !… Pourquoi ne me dites-vous pas qu’elle est une perle de vertu ! Je le sais, elle vous trouve beau par admiration ! en voilà de la dépravation ! Moi, j’aime votre âme ! car, sachez-le bien, mon cher, vous êtes affreux, comparé à certains pâtres de la Campagne de Rome ! etc.

Cette phraséologie peut surprendre, mais elle constituait un système profondément médité par Béatrix. À sa troisième incarnation, car à chaque passion on devient tout autre, une femme s’avance d’autant dans la rouerie, seul mot qui rende bien l’effet de l’expérience que donnent de telles aventures. Or, la marquise de Rochefide s’était jugée à son miroir. Les femmes d’esprit ne s’abusent jamais sur elles-mêmes ; elles comptent leurs rides, elles assistent à la naissance de la patte d’oie, elles voient poindre leurs grains de millet, elles se savent par cœur, et le disent même trop par la grandeur de leurs efforts à se conserver. Aussi, pour lutter avec une splendide jeune femme, pour remporter sur elle six triomphes par semaine, Béatrix avait-elle demandé ses avantages à la science des courtisanes. Sans s’avouer la noirceur de ce plan, entraînée à l’emploi de ces moyens par une passion turque pour le beau Calyste, elle