Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/404

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tenir qu’à la question humaine, n’y a-t-il pas quelque chose de cruel à lui refuser le bonheur, à le priver d’enfants, à effacer sa famille du livre d’or de la pairie ? Mes douleurs, mes répugnances, mes sentiments, tout mon égoïsme (car je me sais égoïste) doit être immolé à la famille. Je serai mère, les caresses de mes enfants essuieront bien des pleurs ! Je serai bien heureuse, je serai certainement honorée, je passerai fière, opulente, dans un brillant équipage ! J’aurai des gens, un hôtel, une maison, je serai la reine d’autant de fêtes qu’il y a de semaines dans l’année. Le monde m’accueillera bien. Enfin je ne remonterai pas dans le ciel du Patriciat, je n’en serai pas même descendue. Ainsi Dieu, la Loi, la Société, tout est d’accord. Contre quoi vous mutinez-vous ? me dit-on du haut du Ciel, de la Chaire, du Tribunal et du Trône dont l’auguste intervention serait au besoin invoquée par le comte. Votre oncle me parlera même au besoin d’une certaine grâce céleste qui m’inondera le cœur alors que j’éprouverai le plaisir d’avoir fait mon devoir. Dieu, la Loi, le Monde, Octave veulent que je vive, n’est-ce pas ? Eh ! bien, s’il n’y a pas d’autre difficulté, ma réponse tranche tout : Je ne vivrai pas ! Je redeviendrai bien blanche, bien innocente, car je serai dans mon linceul, parée de la pâleur irréprochable de la mort. Il n’y a pas là le moindre entêtement de mule. Cet entêtement de mule dont vous m’avez accusée en riant est, chez la femme, l’effet d’une certitude, une vision de l’avenir. Si mon mari, par amour, a la sublime générosité de tout oublier, je n’oublierai point, moi ! L’oubli dépend-il de nous ? Quand une veuve se marie, l’amour en fait une jeune fille, elle épouse un homme aimé ; mais je ne puis pas aimer le comte. Tout est là, voyez-vous ? Chaque fois que mes yeux rencontreront les siens, j’y verrai toujours ma faute, même quand les yeux de mon mari, seront pleins d’amour. La grandeur de sa générosité m’attestera la grandeur de mon crime. Mes regards, toujours inquiets, liront toujours une sentence invisible. J’aurai dans le cœur des souvenirs confus qui se combattront. Jamais le mariage n’éveillera dans mon être les cruelles délices, le délire mortel de la passion ; je tuerai mon mari par ma froideur, par des comparaisons qui se devineront, quoique cachées au fond de ma conscience. Oh ! le jour où, dans une ride du front, dans un regard attristé, dans un geste imperceptible, je saisirai quelque reproche involontaire,