Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/44

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plus puissante que le poëte et que l’acteur, les deux plus formidables natures réunies. Savinien de Portenduère accompagna Sabine jusqu’au péristyle et la mit en voiture, sans pouvoir s’expliquer cette fuite précipitée.

Madame du Guénic entra dès lors dans une période de souffrances particulière à l’aristocratie. Envieux, pauvres, souffrants, quand vous voyez aux bras des femmes ces serpents d’or à têtes de diamant, ces colliers, ces agrafes, dites-vous que ces vipères mordent, que ces colliers ont des pointes venimeuses, que ces liens si légers entrent au vif dans ces chairs délicates. Tout ce luxe se paie. Dans la situation de Sabine les femmes maudissent les plaisirs de la richesse, elles n’aperçoivent plus les dorures de leurs salons, la soie des divans est de l’étoupe, les fleurs exotiques sont des orties, les parfums puent, les miracles de la cuisine grattent le gosier comme du pain d’orge, et la vie prend l’amertume de la mer Morte.

Deux ou trois exemples peindront cette réaction d’un salon ou d’une femme sur un bonheur, de manière que toutes celles qui l’ont subie y retrouvent leurs impressions de ménage.

Prévenue de cette affreuse rivalité, Sabine étudia son mari quand il sortait pour deviner l’avenir de la journée. Et avec quelle fureur contenue une femme ne se jette-t-elle pas sur les pointes rouges de ces supplices de sauvage ?… Quelle joie délirante s’il n’allait pas rue de Chartres ! Calyste rentrait-il ? l’observation du front, de la coiffure, des yeux, de la physionomie et du maintien prêtait un horrible intérêt à des riens, à des remarques poursuivies jusque dans les profondeurs de la toilette, et qui font alors perdre à une femme sa noblesse et sa dignité. Ces funestes investigations, gardées au fond du cœur, s’y aigrissaient et y corrompaient les racines délicates d’où s’épanouissent les fleurs bleues de la sainte confiance, les étoiles d’or de l’amour unique.

Un jour, Calyste regarda tout chez lui de mauvaise humeur, il y restait ! Sabine se fit chatte et humble, gaie et spirituelle.

— Tu me boudes, Calyste, je ne suis donc pas une bonne femme ?… Qu’y a-t-il ici qui te déplaise ? demanda-t-elle.

— Tous ces appartements sont froids et nus, dit-il, vous ne vous entendez pas à ces choses-là.

— Que manque-t-il ?

— Des fleurs.