Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/453

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riens ; mais si l’on jalouse un sot élégamment vêtu, on s’enthousiasme aussi pour le talent, on admire l’homme de génie. Ces défauts, quand ils sont sans racines dans le cœur, accusent l’exubérance de la sève, le luxe de l’imagination. Qu’un enfant de dix-neuf ans, fils unique, tenu sévèrement au logis paternel à cause de l’indigence qui atteint un employé à douze cents francs, mais adoré et pour qui sa mère s’impose de dures privations, s’émerveille d’un jeune homme de vingt-deux ans, en envie la polonaise à brandebourgs doublée de soie, le gilet de faux cachemire et la cravate passée dans un anneau de mauvais goût, n’est-ce pas des peccadilles commises à tous les étages de la société, par l’inférieur qui jalouse son supérieur ? L’homme de génie lui-même obéit à cette première passion. Rousseau de Genève n’a-t-il pas admiré Venture et Bacle ? Mais Oscar passa de la peccadille à la faute, il se sentit humilié, il s’en prit à son compagnon de voyage, et il s’éleva dans son cœur un secret désir de lui prouver qu’il le valait bien. Les deux beaux fils se promenaient toujours de la porte aux écuries, des écuries à la porte, allant jusqu’à la rue ; et quand ils retournaient, ils regardaient toujours Oscar, tapi dans son coin. Oscar, persuadé que les ricanements des deux jeunes gens le concernaient, affecta la plus profonde indifférence. Il se mit à fredonner le refrain d’une chanson mise alors à la mode par les Libéraux, et qui disait : C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau. Cette attitude le fit sans doute prendre pour un petit clerc d’avoué.

— Tiens, il est peut être dans les chœurs de l’Opéra, dit le voyageur.

Exaspéré, le pauvre Oscar bondit, leva le dossier et dit à Pierrotin : ─ Quand partirons-nous ?

— Tout à l’heure, répondit le messager qui tenait son fouet à la main et regardait dans la rue d’Enghien.

En ce moment, la scène fut animée par l’arrivée d’un jeune homme accompagné d’un vrai gamin qui se produisirent suivis d’un commissionnaire traînant une voiture à l’aide d’une bricole. Le jeune homme vint parler confidentiellement à Pierrotin qui hocha la tête et se mit à héler son facteur. Le facteur accourut pour aider à décharger la petite voiture qui contenait, outre deux malles, des seaux, des brosses, des boîtes de formes étranges, une infinité de paquets et d’ustensiles que le plus jeune des deux nouveaux voyageurs, moulé sur l’impériale, y plaçait, y calait avec