Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/461

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— Dix louis pour toi, si tu me gardes fidèlement le secret que je t’ai demandé, dit à voix basse le comte en prenant Pierrotin par le bras.

— Oh ! mes mille francs, se dit Pierrotin en lui-même après avoir fait à monsieur de Sérisy un clignement d’yeux qui signifiait : Comptez sur moi !

Oscar et Georges restèrent dans la voiture.

— Écoutez, Pierrotin, puisque Pierrotin il y a, s’écria Georges quand après la montée les voyageurs furent replacés, si vous deviez ne pas aller mieux que cela, dites-le ? je paie ma place et je prends un bidet à Saint-Denis, car j’ai des affaires importantes qui seraient compromises par un retard.

— Oh ! il ira bien, répondit le père Léger. Et d’ailleurs la route n’est pas large.

— Jamais je ne suis plus d’une demi-heure en retard, répliqua Pierrotin.

— Enfin, vous ne brouettez pas le pape, n’est-ce pas ? dit Georges ; ainsi, marchez !

— Vous ne devez pas de préférence, et si vous craignez de trop cahoter monsieur, dit Mistigris en montrant le comte, ça n’est pas bien.

— Tous les voyageurs sont égaux devant le coucou, comme les Français devant la Charte, dit Georges.

— Soyez tranquille, dit le père Léger, nous arriverons bien à la Chapelle avant midi.

La Chapelle est le village contigu à la barrière Saint-Denis.

Tous ceux qui ont voyagé savent que les personnes réunies par le hasard dans une voiture ne se mettent pas immédiatement en rapport ; et, à moins de circonstances rares, elles ne causent qu’après avoir fait un peu de chemin. Ce temps de silence est pris aussi bien par un examen mutuel que par la prise de possession de la place où l’on se trouve ; les âmes ont tout autant besoin que le corps de se rasseoir. Quand chacun croit avoir pénétré l’âge vrai, la profession, le caractère de ses compagnons, le plus causeur commence alors, et la conversation s’engage avec d’autant plus de chaleur, que tout le monde a senti le besoin d’embellir le voyage et d’en charmer les ennuis. Les choses se passent ainsi dans les voitures françaises. Chez les autres nations, les mœurs sont bien différentes. Les Anglais mettent leur orgueil à ne pas desserrer les dents ; l’Allemand