Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/495

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année, empêché la destitution d’un Garde général des forêts, et obtenu la croix de la Légion-d’Honneur pour le maréchal des logis chef de Beaumont. Aussi ne se festoyait-on jamais dans la bourgeoisie sans que monsieur et madame Moreau fussent invités. Le curé de Presles, le maire de Presles, venaient jouer tous les soirs chez Moreau. Il est difficile de ne pas être brave homme après s’être fait un lit si commode.

Jolie femme et minaudière comme toutes les femmes de chambre de grande dame qui, mariées, imitent leurs maîtresses, la régisseuse importait les nouvelles modes dans le pays ; elle portait des brodequins fort chers, et n’allait à pied que par les beaux jours. Quoique son mari n’allouât que cinq cents francs pour la toilette, cette somme est énorme à la campagne, surtout quand elle est bien employée ; aussi la régisseuse, blonde, éclatante et fraîche, d’environ trente-six ans, restée fluette, mignonne et gentille, malgré ses trois enfants, jouait-elle encore à la jeune fille et se donnait-elle des airs de princesse. Quand on la voyait passer dans sa calèche allant à Beaumont, si quelque étranger demandait : ─ Qui est-ce ? madame Moreau était furieuse, lorsqu’un homme du pays répondait : ─ C’est la femme du régisseur de Presles. Elle aimait être prise pour la maîtresse du château. Dans les villages, elle se plaisait à protéger les gens, comme aurait fait une grande dame. L’influence de son mari sur le comte, démontrée par tant de preuves, empêchait la petite bourgeoisie de se moquer de madame Moreau, qui, aux yeux des paysans, paraissait un personnage. Estelle (elle se nommait Estelle) ne se mêlait pas plus d’ailleurs de la régie qu’une femme d’agent de change ne se mêle des affaires de Bourse ; elle se reposait même sur son mari des soins du ménage, de la fortune. Confiante en ses moyens, elle était à mille lieues de soupçonner que cette charmante existence, qui durait depuis dix-sept ans, pût jamais être menacée ; cependant, en apprenant la résolution du comte relativement à la restauration du magnifique château de Presles, elle s’était sentie attaquée dans toutes ses jouissances, et avait déterminé son mari à s’entendre avec Léger, afin de pouvoir se retirer à l’Isle-Adam. Elle eût trop souffert de se retrouver dans une dépendance quasi domestique en présence de son ancienne maîtresse qui se serait moquée d’elle en la voyant établie au pavillon de manière à singer l’existence d’une femme comme il faut.

Le sujet de la profonde inimitié qui régnait entre les Reybert et les