Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Diable ! il paraît que sous tous les gouvernements les pairs de France voyagent par les voitures à Pierrotin. Je prends la place d’intérieur, répondit Georges qui se rappelait l’aventure de monsieur de Sérisy.

Il jeta sur Oscar et sur la veuve un regard d’examen et ne reconnut ni le fils ni la mère. Oscar avait le teint bronzé par le soleil d’Afrique ; ses moustaches étaient excessivement fournies et ses favoris très amples ; sa figure creusée et ses traits prononcés s’accordaient avec son attitude militaire. La rosette d’officier, le bras de moins, la sévérité du costume, tout aurait égaré les souvenirs de Georges, s’il avait eu quelque souvenir de son ancienne victime. Quant à madame Clapart, que Georges avait à peine jadis vue, dix ans consacrés aux exercices de la piété la plus sévère l’avaient transformée. Personne n’eût imaginé que cette espèce de Sœur Grise cachait une des Aspasies de 1797.

Un énorme vieillard, vêtu simplement, mais d’une façon cossue, et dans lequel Oscar reconnut le père Léger, arriva lentement et lourdement ; il salua familièrement Pierrotin qui parut lui porter le respect dû, par tous pays, aux millionnaires.

— Hé ! c’est le père Léger ! toujours de plus en plus prépondérant, s’écria Georges.

— À qui ai-je l’honneur de parler ? demanda le père Léger d’un ton sec.

— Comment ? vous ne reconnaissez pas le colonel Georges, l’ami d’Ali-Pacha ? Nous avons fait route ensemble un jour, avec le comte de Sérisy qui gardait l’incognito.

Une des sottises les plus habituelles aux gens tombés est de vouloir reconnaître les gens et de vouloir s’en faire reconnaître.

— Vous êtes bien changé, répondit le vieux marchand de biens, devenu deux fois millionnaire.

— Tout change, dit Georges. Voyez si l’auberge du Lion d’argent et si la voiture de Pierrotin ressemblent à ce qu’elles étaient il y a quatorze ans.

— Pierrotin a maintenant à lui seul les Messageries de la vallée de l’Oise, et il fait rouler de belles voitures, répondit monsieur Léger. C’est un bourgeois de Beaumont, il y tient un hôtel où descendent les diligences, il a une femme et une fille qui ne sont pas maladroites…

Un vieillard d’environ soixante-dix ans descendit de l’hôtel et se joignit aux voyageurs qui attendaient le moment de monter en voiture.