Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/128

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pour accomplir une vie de travail à laquelle il se soustrait dans sa cellule. Mais dans un monastère de femmes, combien de vigueur virile et de touchante faiblesse ! Un homme peut être poussé par mille sentiments au fond d’une abbaye, il s’y jette comme dans un précipice ; mais la femme n’y vient jamais qu’entraînée par un seul sentiment : elle ne s’y dénature pas, elle épouse Dieu. Vous pouvez dire aux religieux : Pourquoi n’avez-vous pas lutté ? Mais la réclusion d’une femme n’est-elle pas toujours une lutte sublime ? Enfin, le général trouva ce parloir muet et ce couvent perdu dans la mer tout pleins de lui. L’amour arrive rarement à la solennité ; mais l’amour encore fidèle au sein de Dieu, n’était-ce pas quelque chose de solennel, et plus qu’un homme n’avait le droit d’espérer au dix-neuvième siècle, par les mœurs qui courent ? Les grandeurs infinies de cette situation pouvaient agir sur l’âme du général, il était précisément assez élevé pour oublier la politique, les honneurs, l’Espagne, le monde de Paris, et monter jusqu’à la hauteur de ce dénoûment grandiose. D’ailleurs, quoi de plus véritablement tragique ? Combien de sentiments dans la situation des deux amants seuls réunis au milieu de la mer sur un banc de granit, mais séparés par une idée, par une barrière infranchissable ! Voyez l’homme se disant : — Triompherai-je de Dieu dans ce cœur ? Un léger bruit fit tressaillir cet homme, le rideau brun se tira ; puis il vit dans la lumière une femme debout, mais dont la figure lui était cachée par le prolongement du voile plié sur la tête : suivant la règle de la maison, elle était vêtue de cette robe dont la couleur est devenue proverbiale. Le général ne put apercevoir les pieds nus de la religieuse, qui lui en auraient attesté l’effrayante maigreur ; cependant, malgré les plis nombreux de la robe grossière qui couvrait et ne parait plus cette femme, il devina que les larmes, la prière, la passion, la vie solitaire l’avaient déjà desséchée.

La main glacée d’une femme, celle de la Supérieure sans doute, tenait encore le rideau ; et le général, ayant examiné le témoin nécessaire de cet entretien, rencontra le regard noir et profond d’une vieille religieuse, presque centenaire, regard clair et jeune, qui démentait les rides nombreuses par lesquelles le pâle visage de cette femme était sillonné.

— Madame la duchesse, demanda-t-il d’une voix fortement émue à la religieuse qui baissait la tête, votre compagne entend-elle le français ?