Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/161

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je vous aurais renvoyé. Vous me voyez affreusement souffrante.

Armand se dit en lui-même : — Je vais m’en aller.

— Mais, reprit-elle en lui lançant un regard dont l’ingénu militaire attribua le feu à la fièvre, je ne sais si c’est un pressentiment de votre bonne visite à l’empressement de laquelle je suis on ne peut pas plus sensible, depuis un instant je sentais ma tête se dégager de ses vapeurs.

— Je puis donc rester, lui dit Montriveau.

— Ah ! je serais bien fâchée de vous voir partir. Je me disais déjà ce matin que je ne devais pas avoir fait sur vous la moindre impression ; que vous aviez sans doute pris mon invitation pour une de ces phrases banales prodiguées au hasard par les Parisiennes, et je pardonnais d’avance à votre ingratitude. Un homme qui arrive des déserts n’est pas tenu de savoir combien notre faubourg est exclusif dans ses amitiés.

Ces gracieuses paroles, à demi murmurées, tombèrent une à une, et furent comme chargées du sentiment joyeux qui paraissait les dicter. La duchesse voulait avoir tous les bénéfices de sa migraine, et sa spéculation eut un plein succès. Le pauvre militaire souffrait réellement de la fausse souffrance de cette femme. Comme Crillon entendant le récit de la passion de Jésus-Christ, il était prêt à tirer son épée contre les vapeurs. Hé ! comment alors oser parler à cette malade de l’amour qu’elle inspirait ? Armand comprenait déjà qu’il était ridicule de tirer son amour à brûle-pourpoint sur une femme si supérieure. Il entendit par une seule pensée toutes les délicatesses du sentiment et les exigences de l’âme. Aimer, n’est-ce pas savoir bien plaider, mendier, attendre ? Cet amour ressenti, ne fallait-il pas le prouver ? Il se trouva la langue immobile, glacée par les convenances du noble faubourg, par la majesté de la migraine, et par les timidités de l’amour vrai. Mais nul pouvoir au monde ne put voiler les regards de ses yeux dans lesquels éclataient la chaleur, l’infini du désert, des yeux calmes comme ceux des panthères, et sur lesquels ses paupières ne s’abaissaient que rarement. Elle aima beaucoup ce regard fixe qui la baignait de lumière et d’amour.

— Madame la duchesse, répondit-il, je craindrais de vous mal dire la reconnaissance que m’inspirent vos bontés. En ce moment je ne souhaite qu’une seule chose, le pouvoir de dissiper vos souffrances.