Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/271

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— Je demeure rue des Trois-Frères, n° 11, au cintième, reprit Moinot ; j’ai une femme et quatre enfants. Si ce que vous voudrez de moi ne dépasse pas les possibilités de la conscience et mes devoirs administratifs, vous comprenez ! je suis le vôtre.

— Vous êtes un brave homme, lui dit Laurent en lui serrant la main.

— Paquita Valdès est sans doute la maîtresse du marquis de San-Réal, l’ami du roi Ferdinand. Un vieux cadavre espagnol de quatre-vingts ans est seul capable de prendre des précautions semblables, dit Henri quand son valet de chambre lui eut raconté le résultat de ses recherches.

— Monsieur, lui dit Laurent, à moins d’y arriver en ballon, personne ne peut entrer dans cet hôtel-là.

— Tu es une bête ! Est-il donc nécessaire d’entrer dans l’hôtel pour avoir Paquita, du moment où Paquita peut en sortir ?

— Mais, monsieur, et la duègne ?

— On la chambrera pour quelques jours, ta duègne.

— Alors, nous aurons Paquita ! dit Laurent en se frottant les mains.

— Drôle ! répondit Henri, je te condamne à la Concha si tu pousses l’insolence jusqu’à parler ainsi d’une femme avant que je ne l’aie eue. Pense à m’habiller, je vais sortir.

Henri resta pendant un moment plongé dans de joyeuses réflexions. Disons-le à la louange des femmes, il obtenait toutes celles qu’il daignait désirer. Et que faudrait-il donc penser d’une femme sans amant, qui aurait su résister à un jeune homme armé de la beauté qui est l’esprit du corps, armé de l’esprit qui est une grâce de l’âme, armé de la force morale et de la fortune qui sont les deux seules puissances réelles ? Mais en triomphant aussi facilement, de Marsay devait s’ennuyer de ses triomphes ; aussi, depuis environ deux ans s’ennuyait-il beaucoup. En plongeant au fond des voluptés, il en rapportait plus de gravier que de perles. Donc il en était venu, comme les souverains, à implorer du hasard quelque obstacle à vaincre, quelque entreprise qui demandât le déploiement de ses forces morales et physiques inactives. Quoique Paquita Valdès lui présentât le merveilleux assemblage des perfections dont il n’avait encore joui qu’en détail, l’attrait de la passion était presque nul chez lui. Une satiété constante avait affaibli dans son cœur le sentiment de l’amour. Comme les vieillards et les gens blasés, il n’avait plus que des ca-