Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/292

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mieux reconnaître, est l’innocence d’une fille. Mais, chose étrange ! si la Fille aux yeux d’or était vierge, elle n’était certes pas innocente. L’union si bizarre du mystérieux et du réel, de l’ombre et de la lumière, de l’horrible et du beau, du plaisir et du danger, du paradis et de l’enfer, qui s’était déjà rencontrée dans cette aventure, se continuait dans l’être capricieux et sublime dont se jouait de Marsay. Tout ce que la volupté la plus raffinée a de plus savant, tout ce que pouvait connaître Henri de cette poésie des sens que l’on nomme l’amour, fut dépassé par les trésors que déroula cette fille dont les yeux jaillissants ne mentirent à aucune des promesses qu’ils faisaient. Ce fut un poème oriental, où rayonnait le soleil que Saadi, Hafiz ont mis dans leurs bondissantes strophes. Seulement, ni le rythme de Saadi, ni celui de Pindare n’auraient exprimé l’extase pleine de confusion et la stupeur dont cette délicieuse fille fut saisie quand cessa l’erreur dans laquelle une main de fer la faisait vivre.

— Morte ! dit-elle, je suis morte ! Adolphe, emmène-moi donc au bout de la terre, dans une île où personne ne nous sache. Que notre fuite ne laisse pas de traces ! Nous serions suivis dans l’enfer. Dieu ! voici le jour. Sauve-toi. Te reverrai-je jamais Oui, demain, je veux te revoir, dussé-je, pour avoir ce bonheur, donner la mort à tous mes surveillants. À demain.

Elle le serra dans ses bras par une étreinte où il y avait la terreur de la mort. Puis elle poussa un ressort qui devait répondre à une sonnette, et supplia de Marsay de se laisser bander les yeux.

— Et si je ne voulais plus, et si je voulais rester ici.

— Tu causerais plus promptement ma mort, dit-elle ; car maintenant je suis sûre de mourir pour toi !

Henri se laissa faire. Il se rencontre en l’homme qui vient de se gorger de plaisir une pente à l’oubli, je ne sais quelle ingratitude, un désir de liberté, une fantaisie d’aller se promener, une teinte de mépris et peut-être de dégoût pour son idole, il se rencontre enfin d’inexplicables sentiments qui le rendent infâme et ignoble. La certitude de cette affection confuse, mais réelle chez les âmes qui ne sont ni éclairées par cette lumière céleste, ni parfumées de ce baume saint d’où nous vient la pertinacité du sentiment, a dicté sans doute à Rousseau les aventures de milord Édouard, par lesquelles sont terminées les lettres de La Nouvelle-Héloïse. Si Rousseau s’est évidemment inspiré de l’œuvre de Richardson, il s’en est éloigné