Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah çà, mère Bridau, s’écria-t-il de sa petite voix cassée, jusqu’à quand serez-vous la dupe de votre maudit brigand de fils ? Ne donnez pas deux liards ! Je vous réponds de Philippe, c’est pour sauver son avenir que je tiens à le laisser juger par la Cour des Pairs, vous avez peur de le voir condamné, mais Dieu veuille que son avocat laisse obtenir une condamnation contre lui. Allez à Issoudun, sauvez la fortune de vos enfants. Si vous n’y parvenez pas, si votre frère a fait un testament en faveur de cette femme, et si vous ne savez pas le faire révoquer… eh ! bien, rassemblez au moins les éléments d’un procès en captation, je le mènerai. Mais vous êtes trop honnête femme pour savoir trouver les bases d’une instance de ce genre ! Aux vacances, j’irai, moi ! à Issoudun… si je puis.

Ce : « J’irai, moi ! » fit trembler l’artiste dans sa peau. Desroches cligna de l’œil pour dire à Joseph de laisser aller sa mère un peu en avant, et il le garda pendant un moment seul.

— Votre frère est un grand misérable, il est volontairement ou involontairement la cause de la découverte de la conspiration, car le drôle est si fin qu’on ne peut pas savoir la vérité là-dessus. Entre niais ou traître, choisissez-lui un rôle. Il sera sans doute mis sous la surveillance de la haute police, voilà tout. Soyez tranquille, il n’y a que moi qui sache ce secret. Courez à Issoudun avec votre mère, vous avez de l’esprit, tâchez de sauver cette succession.

— Allons, ma pauvre mère, Desroches a raison, dit-il en rejoignant Agathe dans l’escalier ; j’ai vendu mes deux tableaux, partons pour le Berry, puisque tu as quinze jours à toi.

Après avoir écrit à sa marraine pour lui annoncer son arrivée, Agathe et Joseph se mirent en route le lendemain soir pour Issoudun, abandonnant Philippe à sa destinée. La diligence passa par la rue d’Enfer pour prendre la route d’Orléans. Quand Agathe aperçut le Luxembourg où Philippe avait été transféré, elle ne put s’empêcher de dire : — Sans les Alliés il ne serait pourtant pas là !

Bien des enfants auraient fait un mouvement d’impatience, auraient souri de pitié ; mais l’artiste, qui se trouvait seul avec sa mère dans le coupé, la saisit, la pressa contre son cœur, en disant : — Ô mère ! tu es mère comme Raphaël était peintre ! Et tu seras toujours une imbécile de mère !

Bientôt arrachée à ses chagrins par les distractions de la route, madame Bridau fut contrainte à songer au but de son voyage. Naturellement, elle relut la lettre de madame Hochon qui avait si fort