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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Max, que ses antécédents, non moins que sa force et sa jeunesse, destinaient à ce rôle. Maxence Gilet passait dans Issoudun pour être le fils naturel de ce Subdélégué, monsieur Lousteau, dont la galanterie a laissé beaucoup de souvenirs, le frère de madame Hochon, et qui s’était attiré, comme vous l’avez vu, la haine du vieux docteur Rouget, à propos de la naissance d’Agathe. Mais l’amitié qui liait ces deux hommes avant leur brouille fut tellement étroite, que, selon une expression du pays et du temps, ils passaient volontiers par les mêmes chemins. Aussi prétendait-on que Max pouvait tout aussi bien être le fils du docteur que celui du Subdélégué ; mais il n’appartenait ni à l’un ni à l’autre, car son père fut un charmant officier de dragons en garnison à Bourges. Néanmoins, par suite de leur inimitié, fort heureusement pour l’enfant, le docteur et le Subdélégué se disputèrent constamment cette paternité. La mère de Max, femme d’un pauvre sabotier du faubourg de Rome, était, pour la perdition de son âme, d’une beauté surprenante, une beauté de Trastéverine, seul bien qu’elle transmit à son fils. Madame Gilet, grosse de Max en 1788, avait pendant longtemps désiré cette bénédiction du ciel, qu’on eut la méchanceté d’attribuer à la galanterie des deux amis, sans doute pour les animer l’un contre l’autre. Gilet, vieil ivrogne à triple broc, favorisait les désordres de sa femme par une collusion et une complaisance qui ne sont pas sans exemple dans la classe intérieure. Pour procurer des protecteurs à son fils, la Gilet se garda bien d’éclairer les pères postiches. À Paris, elle eût été millionnaire ; à Issoudun, elle vécut tantôt à l’aise, tantôt misérablement, et à la longue méprisée. Madame Hochon, sœur de monsieur Lousteau, donna quelque dix écus par an pour que Max allât à l’école. Cette libéralité que madame Hochon était hors d’état de se permettre, par suite de l’avarice de son mari, fut naturellement attribuée à son frère, alors à Sancerre. Quand le docteur Rouget, qui n’était pas heureux en garçon, eut remarqué la beauté de Max, il paya jusqu’en 1805 la pension au collège de celui qu’il appelait le jeune drôle. Comme le Subdélégué mourut en 1800, et qu’en payant pendant cinq ans la pension de Max, le docteur paraissait obéir à un sentiment d’amour-propre, la question de paternité resta toujours indécise. Maxence Gilet, texte de mille plaisanteries, fut d’ailleurs bientôt oublié. Voici comment. En 1806, un an après la mort du docteur Rouget, ce garçon, qui semblait avoir été créé pour une vie hasar-