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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

l’Empereur. Dès 1816, il se fit à Issoudun, tous les ans, un repas pour fêter l’anniversaire du couronnement de Napoléon. Les trois premiers Royalistes qui vinrent demandèrent les journaux, et entre autres la Quotidienne, le Drapeau Blanc. Les opinions d’Issoudun, celles du Café Militaire surtout, ne comportaient point de journaux royalistes. Le Café n’avait que le Commerce, nom que le Constitutionnel, supprimé par un Arrêt, fut forcé de prendre pendant quelques années. Mais, comme en paraissant pour la première fois sous ce titre, il commença son Premier Paris par ces mots : Le Commerce est essentiellement Constitutionnel, on continuait à l’appeler le Constitutionnel. Tous les abonnés saisirent le calembour plein d’opposition et de malice par lequel on les priait de ne pas faire attention à l’enseigne, le vin devant être toujours le même. Du haut de son comptoir, la grosse dame répondit aux Royalistes qu’elle n’avait pas les journaux demandés. — Quels journaux recevez-vous donc ? fit un des officiers, un capitaine. Le garçon, un petit jeune homme en veste de drap bleu, et orné d’un tablier de grosse toile, apporta le Commerce. — Ah ! c’est là votre journal, en avez-vous un autre ? — Non, dit le garçon, c’est le seul. Le capitaine déchire la feuille de l’Opposition, la jette en morceaux, et crache dessus en disant : — Des dominos ! En dix minutes, la nouvelle de l’insulte faite à l’Opposition constitutionnelle et au libéralisme dans la personne du sacro-saint journal, qui attaquait les prêtres avec le courage et l’esprit que vous savez, courut par les rues, se répandit comme la lumière dans les maisons ; on se la conta de place en place. Le même mot fut à la fois dans toutes les bouches : — Avertissons Max ! Max sut bientôt l’affaire. Les officiers n’avaient pas fini leur partie de dominos que Max, accompagné du commandant Potel et du capitaine Renard, suivi de trente jeunes gens curieux de voir la fin de cette aventure et qui presque tous restèrent groupés sur la place d’Armes, entra dans le café. Le café fut bientôt plein. — Garçon, mon journal ? dit Max d’une voix douce. On joua une petite comédie. La grosse femme, d’un air craintif et conciliateur, dit : — Capitaine, je l’ai prêté. — Allez le chercher, s’écria un des amis de Max. — Ne pouvez-vous pas vous passer du journal ? dit le garçon, nous ne l’avons plus. Les jeunes officiers riaient et jetaient des regards en coulisse sur les bourgeois. — On l’a déchiré ! s’écria un jeune homme de la ville en regardant aux pieds du jeune capitaine royaliste.