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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

— Qui donc s’est permis de déchirer le journal ? demanda Max d’une voix tonnante, les yeux enflammés et se levant les bras croisés. — Et nous avons craché dessus, répondirent les trois jeunes officiers en se levant et regardant Max. — Vous avez insulté toute la ville, dit Max devenu blême. — Eh ! bien, après ?… demanda le plus jeune officier. Avec une adresse, une audace et une rapidité que ces jeunes gens ne pouvaient prévoir, Max appliqua deux soufflets au premier officier qui se trouvait en ligne, et lui dit : — Comprenez-vous le français ? On alla se battre dans l’allée de Frapesle, trois contre trois. Potel et Renard ne voulurent jamais permettre que Maxence Gilet fît raison à lui seul aux officiers. Max tua son homme. Le commandant Potel blessa si grièvement le sien que le malheureux, un fils de famille, mourut le lendemain à l’hôpital où il fut transporté. Quant au troisième, il en fut quitte pour un coup d’épée et blessa le capitaine Renard, son adversaire. Le bataillon partit pour Bourges dans la nuit. Cette affaire, qui eut du retentissement en Berry, posa définitivement Maxence Gilet en héros.

Les chevaliers de la Désœuvrance, tous jeunes, le plus âgé n’avait pas vingt-cinq ans, admiraient Maxence. Quelques-uns d’entre eux, loin de partager la pruderie, la rigidité de leurs familles à l’égard de Max, enviaient sa position et le trouvaient bien heureux. Sous un tel chef, l’Ordre fit des merveilles. À partir du mois de janvier 1817, il ne se passa pas de semaine que la ville ne fût mise en émoi par un nouveau tour. Max, par point d’honneur, exigea des chevaliers certaines conditions. On promulgua des statuts. Ces diables devinrent alertes comme des élèves d’Amoros, hardis comme des milans, habiles à tous les exercices, forts et adroits comme des malfaiteurs. Ils se perfectionnèrent dans le métier de grimper sur les toits, d’escalader les maisons, de sauter, de marcher sans bruit, de gâcher du plâtre et de condamner une porte. Ils eurent un arsenal de cordes, d’échelles, d’outils, de déguisements. Aussi les chevaliers de la Désœuvrance arrivèrent-ils au beau idéal de la malice, non-seulement dans l’exécution mais encore dans la conception de leurs tours. Ils finirent par avoir ce génie du mal qui réjouissait tant Panurge, qui provoque le rire et qui rend la victime si ridicule qu’elle n’ose se plaindre. Ces fils de famille avaient d’ailleurs dans les maisons des intelligences qui leur permettaient d’obtenir les renseignements utiles à la perpétration de leurs attentats.

Par un grand froid, ces diables incarnés transportaient très-bien