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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

bord Jean-Jacques très familièrement ; puis, sans lui manquer de respect, elle le prima par tant de supériorité, d’intelligence et de force, qu’il devint le serviteur de sa servante. Ce grand enfant alla de lui-même au-devant de cette domination, en se laissant rendre tant de soins, que Flore fut avec lui comme une mère est avec son fils. Aussi Jean-Jacques finit-il par avoir pour Flore le sentiment qui rend nécessaire à un enfant la protection maternelle. Mais il y eut entre eux des nœuds bien autrement serrés ! D’abord, Flore faisait les affaires et conduisait la maison. Jean-Jacques se reposait si bien sur elle de toute espèce de gestion, que sans elle la vie lui eût paru, non pas difficile, mais impossible. Puis cette femme était devenue un besoin de son existence, elle caressait toutes ses fantaisies, elle les connaissait si bien ! Il aimait à voir cette figure heureuse qui lui souriait toujours, la seule qui lui eût souri, la seule où devait se trouver un sourire pour lui ! Ce bonheur, purement matériel, exprimé par des mots vulgaires qui sont le fond de la langue dans les ménages berrichons, et peint sur cette magnifique physionomie, était en quelque sorte le reflet de son bonheur à lui. L’état dans lequel fut Jean-Jacques lorsqu’il vit Flore assombrie par quelques contrariétés révéla l’étendue de son pouvoir à cette fille, qui, pour s’en assurer, voulut en user. User chez les femmes de cette sorte, veut toujours dire abuser. La Rabouilleuse fit sans doute jouer à son maître quelques-unes de ces scènes ensevelies dans les mystères de la vie privée, et dont Otway a donné le modèle au milieu de sa tragédie de Venise Sauvée, entre le Sénateur et Aquilina, scène qui réalise le magnifique de l’horrible ! Flore se vit alors si certaine de son empire, qu’elle ne songea pas, malheureusement pour elle et pour ce célibataire, à se faire épouser.

Vers la fin de 1815, à vingt-sept ans, Flore était arrivée à l’entier développement de sa beauté. Grasse et fraîche, blanche comme une fermière du Bessin, elle offrait bien l’idéal de ce que nos ancêtres appelaient une belle commère. Sa beauté, qui tenait de celle d’une superbe fille d’auberge, mais agrandie et nourrie, la faisait ressembler, noblesse impériale à part, à mademoiselle Georges dans son beau temps. Flore avait ces beaux bras ronds éclatants, cette plénitude de formes, cette pulpe satinée, ces contours attrayants, mais moins sévères que ceux de l’actrice. L’expression de Flore était la tendresse et la douceur. Son regard ne commandait pas le respect comme celui de la plus belle Agrippine qui, depuis celle de