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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Parbleu ! mon oncle, s’écria Joseph enchanté, vous y mettrez les copies que je vous enverrai et qui seront de la même dimension…

— Mais cela vous prendra du temps et il vous faudra des toiles, des couleurs, dit Flore. Vous dépenserez de l’argent… Voyons, père Rouget, offrez à votre neveu cent francs par tableau, vous en avez là vingt-sept… il y en a, je crois, onze dans le grenier qui sont énormes et qui doivent être payés double… Mettez pour le tout quatre mille francs.. Oui, votre oncle peut bien vous payer les copies quatre mille francs, puisqu’il garde les cadres ! Enfin, il vous faudra des cadres, et on dit que les cadres valent plus que les tableaux ; il y a de l’or !… — Dites donc, monsieur, reprit Flore en remuant le bras du bonhomme. Hein ?… ce n’est pas cher, votre neveu vous fera payer quatre mille francs des tableaux tout neufs à la place de vos vieux… C’est, lui dit-elle à l’oreille, une manière honnête de lui donner quatre mille francs, il ne me paraît pas très calé

— Eh bien ! mon neveu, je te payerai quatre mille francs pour les copies…

— Non, non, dit l’honnête Joseph, quatre mille francs et les tableaux, c’est trop ; car, voyez-vous, les tableaux ont de la valeur.

— Mais acceptez donc, godiche ! lui dit Flore, puisque c’est votre oncle…

— Eh ! bien, j’accepte, dit Joseph étourdi de l’affaire qu’il venait de faire, car il reconnaissait un tableau du Pérugin.

Aussi l’artiste eut-il un air joyeux en sortant et en donnant le bras à la Rabouilleuse, ce qui servit admirablement les desseins de Maxence. Ni Flore, ni Rouget, ni Max, ni personne à Issoudun ne pouvait connaître la valeur des tableaux, et le rusé Max crut avoir acheté pour une bagatelle le triomphe de Flore qui se promena très orgueilleusement au bras du neveu de son maître, en bonne intelligence avec lui, devant toute la ville ébahie. On se mit aux portes pour voir le triomphe de la Rabouilleuse sur la famille. Ce fait exorbitant fit une sensation profonde sur laquelle Max comptait. Aussi, quand l’oncle et le neveu rentrèrent vers les cinq heures, on ne parlait dans tous les ménages que de l’accord parfait de Max et de Flore avec le neveu du père Rouget. Enfin, l’anecdote du cadeau des tableaux et des quatre mille francs circulait déjà. Le dîner, auquel assista Lousteau, l’un des juges du tribunal, et le maire d’Is-