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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

soudun, fut splendide. Ce fut un de ces dîners de province qui durent cinq heures. Les vins les plus exquis animèrent la conversation. Au dessert, à neuf heures, le peintre, assis entre Flore et Max vis-à-vis de son oncle, était devenu quasi-camarade avec l’officier, qu’il trouvait le meilleur enfant de la terre. Joseph revint à onze heures à peu près gris. Quant au bonhomme Rouget, Kouski le porta dans son lit ivre-mort, il avait mangé comme un acteur forain et bu comme les sables du désert.

— Hé ! bien, dit Max qui resta seul à minuit avec Flore, ceci ne vaut-il pas mieux que de leur faire la moue. Les Bridau seront bien reçus, ils auront de petits cadeaux, et comblés de faveurs, ils ne pourront que chanter nos louanges ; ils s’en iront bien tranquilles en nous laissant tranquilles aussi. Demain matin, à nous deux Kouski, nous déferons toutes ces toiles, nous les enverrons au peintre pour qu’il les ait à son réveil, nous mettrons les cadres au grenier, et nous renouvellerons la tenture de la salle en y tendant de ces papiers vernis où il y a des scènes de Télémaque, comme j’en ai vu chez monsieur Mouilleron.

— Tiens, ce sera bien plus joli, s’écria Flore.

Le lendemain, Joseph ne s’éveilla pas avant midi. De son lit, il aperçut les toiles mises les unes sur les autres, et apportées sans qu’il eût rien entendu. Pendant qu’il examinait de nouveau les tableaux et qu’il y reconnaissait des chefs-d’œuvre en étudiant la manière des peintres et recherchant leurs signatures, sa mère était allée remercier son frère et le voir, poussée par le vieil Hochon qui, sachant toutes les sottises commises la veille par le peintre, désespérait de la cause des Bridau.

— Vous avez pour adversaires de fines mouches. Dans toute ma vie je n’ai pas vu pareille tenue à celle de ce soldat : il paraît que la guerre forme les jeunes gens. Joseph s’est laissé pincer ! Il s’est promené donnant le bras à la Rabouilleuse ! On lui a sans doute fermé la bouche avec du vin, de méchantes toiles, et quatre mille francs. Votre artiste n’a pas coûté cher à Maxence !

Le perspicace vieillard avait tracé la conduite à tenir à la filleule de sa femme, en lui disant d’entrer dans les idées de Maxence et de cajoler Flore, afin d’arriver à une espèce d’intimité avec elle, pour obtenir de petits moments d’entretien avec Jean-Jacques. Madame Bridau fut reçue à merveille par son frère à qui Flore avait fait sa leçon. Le vieillard était au lit, malade des excès de la veille.