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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Mais il s’agit de la succession du père Rouget. On dit que monsieur Gilet allait s’emparer de cinquante mille livres de rente, au moment où le colonel s’est établi chez son oncle.

— Gilet, voler des rentes à quelqu’un ?… Tenez, ne dites pas cela, monsieur Ganivet, ailleurs qu’ici, s’écria Potel, ou nous vous ferions avaler votre langue, et sans sauce !

Dans toutes les maisons bourgeoises on fit des vœux pour le digne colonel Bridau.

Le lendemain, vers quatre heures, les officiers de l’ancienne armée qui se trouvaient à Issoudun ou dans les environs se promenaient sur la place du Marché, devant un restaurateur nommé Lacroix en attendant Philippe Bridau. Le banquet qui devait avoir lieu pour fêter le couronnement était indiqué pour cinq heures, heure militaire. On causait de l’affaire de Maxence et de son renvoi de chez le père Rouget dans tous les groupes, car les simples soldats avaient imaginé d’avoir une réunion chez un marchand de vin sur la Place. Parmi les officiers, Potel et Renard furent les seuls qui essayèrent de défendre leur ami.

— Est-ce que nous devons nous mêler de ce qui se passe entre eux héritiers, disait Renard.

— Max est faible avec les femmes, faisait observer le cynique Potel.

— Il y aura des sabres dégaînés sous peu, dit un ancien sous-lieutenant qui cultivait un marais dans le Haut-Baltan. Si monsieur Maxence Gilet a commis la sottise de venir demeurer chez le bonhomme Rouget, il serait un lâche de s’en laisser chasser comme un valet sans demander raison.

— Certes, répondit sèchement Mignonnet. Une sottise qui ne réussit pas devient un crime.

Max, qui vint rejoindre les vieux soldats de Napoléon, fut alors accueilli par un silence assez significatif. Potel, Renard prirent leur ami chacun par un bras, et allèrent à quelques pas causer avec lui. En ce moment, on vit venir de loin Philippe en grande tenue, il traînait sa canne d’un air imperturbable qui contrastait avec la profonde attention que Max était forcé d’accorder aux discours de ses deux derniers amis. Philippe reçut les poignées de main de Mignonnet, de Carpentier et de quelques autres. Cet accueil, si différent de celui qu’on venait de faire à Maxence, acheva de dissiper dans l’esprit de ce garçon quelques idées de couardise, de sagesse