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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

toile pour voir ce qui arrivait. À l’aspect de sa mère étendue, le peintre lâcha palette et brosses, et alla relever une espèce de cadavre ! Il prit Agathe dans ses bras, la porta sur son lit dans son appartement, et envoya chercher son ami Bianchon par la servante. Aussitôt que Joseph put questionner sa mère, elle avoua sa lettre à Philippe et la réponse qu’elle avait reçue de lui. L’artiste alla ramasser cette réponse dont la concise brutalité venait de briser le cœur délicat de cette pauvre mère, en y renversant le pompeux édifice élevé par sa préférence maternelle. Joseph, revenu près du lit de sa mère, eut l’esprit de se taire. Il ne parla point de son frère pendant les trois semaines que dura, non pas la maladie, mais l’agonie de cette pauvre femme. En effet, Bianchon, qui vint tous les jours et soigna la malade avec le dévouement d’un ami véritable, avait éclairé Joseph dès le premier jour.

— À cet âge, lui dit-il, et dans les circonstances où ta mère va se trouver, il ne faut songer qu’à lui rendre la mort le moins amère possible.

Agathe se sentit d’ailleurs si bien appelée par Dieu qu’elle réclama, le lendemain même, les soins religieux du vieil abbé Loraux, son confesseur depuis vingt-deux ans. Aussitôt qu’elle fut seule avec lui, quand elle eut versé dans ce cœur tous ses chagrins, elle redit ce qu’elle avait dit à sa marraine et ce qu’elle disait toujours.

— En quoi donc ai je pu déplaire à Dieu ? Ne l’aimé-je pas de toute mon âme ? N’ai-je pas marché dans le chemin du salut ? Quelle est ma faute ? Et si je suis coupable d’une faute que j’ignore, ai-je encore le temps de la réparer ?

— Non, dit le vieillard d’une voix douce. Hélas ! votre vie paraît être pure et votre âme semble être sans tâche ; mais l’œil de Dieu, pauvre créature affligée, est plus pénétrant que celui de ses ministres ! J’y vois clair un peu trop tard, car vous m’avez abusé moi-même.

En entendant ces mots prononcés par une bouche qui n’avait eu jusqu’alors que des paroles de paix et de miel pour elle, Agathe se dressa sur son lit en ouvrant des yeux pleins de terreur et d’inquiétude.

— Dites ! dites, s’écria-t-elle.

— Consolez-vous ! reprit le vieux prêtre. À la manière dont vous êtes punie, on peut prévoir le pardon. Dieu n’est sévère ici-bas que pour ses élus. Malheur à ceux dont les méfaits trouvent des hasards