Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/352

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— N’est-ce pas, monsieur ? reprit Gaudissart. Je nomme cette Caisse de bienfaisance, moi, l’Assurance mutuelle contre la misère !… ou, si vous voulez, l’escompte du talent. Car le talent, monsieur, le talent est une lettre de change que la Nature donne à l’homme de génie, et qui se trouve souvent à bien longue échéance… hé ! hé !

— Oh ! la belle usure ! s’écria Margaritis.

— Eh ! diable ! il est fin, le bonhomme. Je me suis trompé, pensa Gaudissart. Il faut que je domine mon homme par de plus hautes considérations, par ma blague numéro 1 — Du tout, monsieur, s’écria Gaudissart à haute voix, pour vous qui…

— Accepteriez-vous un verre de vin ? demanda Margaritis.

— Volontiers, répondit Gaudissart.

— Ma femme, donne-nous donc une bouteille du vin dont il nous reste deux pièces. — Vous êtes ici dans la tête de Vouvray, dit le bonhomme en montrant ses vignes à Gaudissart. Le clos Margaritis !

La servante apporta des verres et une bouteille de vin de l’année 1819. Le bonhomme Margaritis en versa précieusement dans un verre, et le présenta solennellement à Gaudissart qui le but.

— Mais vous m’attrapez, monsieur, dit le Commis-Voyageur, ceci est du vin de Madère, vrai vin de Madère.

— Je le crois bien, dit le fou. L’inconvénient du vin de Vouvray, monsieur, est de ne pouvoir se servir ni comme vin ordinaire, ni comme vin d’entremets ; il est trop généreux, trop fort ; aussi vous le vend-on à Paris pour du vin de Madère en le teignant d’eau-de-vie. Notre vin est si liquoreux que beaucoup de marchands de Paris, quand notre récolte n’est pas assez bonne pour la Hollande et la Belgique, nous achètent nos vins ; ils les coupent avec les vins des environs de Paris, et en font alors des vins de Bordeaux. Mais ce que vous buvez en ce moment, mon cher et très-aimable monsieur, est un vin de roi, la tête de Vouvray. J’en ai deux pièces, rien que deux pièces. Les gens qui aiment les grands vins, les hauts vins, et qui veulent servir sur leurs tables des qualités en dehors du commerce, comme plusieurs maisons de Paris qui ont de l’amour-propre pour leurs vins, se font fournir directement par nous. Connaissez-vous quelques personnes qui…

— Revenons à notre affaire, dit Gaudissart.

— Nous y sommes, monsieur, reprit le fou. Mon vin est capi-