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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

aller à Paris y faire ses réclamations ; mais après la mort de Napoléon il essaya de monnayer la poésie de son père, car il ne comprit pas la profonde philosophie accusée par ce mélange des créances et des charades. Le vigneron perdit tant de temps à se faire reconnaître de messieurs les ducs de Navarreins et autres (telle était son expression), qu’il revint à Sancerre, appelé par ses chères vendanges, sans avoir rien obtenu que des offres de services. La Restauration rendit assez de lustre à la noblesse pour que La Baudraye désirât donner un sens à son ambition en se donnant un héritier. Ce bénéfice conjugal lui paraissait assez problématique ; autrement, il n’eut pas tant tardé, mais, vers la fin de 1823, en se voyant encore sur ses jambes à quarante-trois ans, âge qu’aucun médecin, astrologue ou sage-femme n’eût osé lui prédire, il espéra trouver la récompense de sa vertu forcée. Néanmoins, son choix indiqua, relativement à sa chétive constitution, un si grand défaut de prudence qu’il fut impossible de n’y pas voir un profond calcul.

À cette époque, Son Éminence Monseigneur l’archevêque de Bourges venait de convertir au catholicisme une jeune personne appartenant à l’une de ces familles bourgeoises qui furent les premiers appuis du Calvinisme, et qui, grâce à leur position obscure, ou à des accommodements avec le ciel, échappèrent aux persécutions de Louis XIV. Artisans au XVIe siècle, les Piédefer, dont le nom révèle un de ces surnoms bizarres que se donnèrent les soldats de la Réforme, étaient devenus d’honnêtes drapiers. Sous le règne de Louis XVI, Abraham Piédefer fit de si mauvaises affaires, qu’il laissa, vers 1786, époque de sa mort, ses deux enfants dans un état voisin de la misère. L’un des deux, Tobie Piédefer partit pour les Indes en abandonnant le modique héritage à son aîné. Pendant la révolution, Moïse Piédefer acheta des biens nationaux, abattit des abbayes et des églises à l’instar de ses ancêtres, et se maria, chose étrange, avec une catholique, fille unique d’un Conventionnel mort sur l’échafaud. Cet ambitieux Piédefer mourut en 1819, laissant à sa femme une fortune compromise par des spéculations agricoles, et une petite fille de douze ans d’une beauté surprenante. Élevée dans la religion calviniste, cet enfant avait été nommée Dinah, suivant l’usage en vertu duquel les religionnaires prenaient leurs noms dans la Bible pour n’avoir rien de commun avec les saints de l’Église romaine.

Mademoiselle Dinah Piédefer, mise par sa mère dans un des meilleurs pensionnats de Bourges, celui des demoiselles Cha-