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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

velours noir, une grande clameur s’éleva dans Sancerre. Cette toilette confirma la supériorité de cette jeune femme, élevée dans la capitale du Berry. On craignit, en recevant ce phénix berruyer, de ne pas dire des choses assez spirituelles, et naturellement on se gourma devant madame de La Baudraye qui produisit une espèce de terreur parmi la gent femelle. Lorsqu’on admira dans le salon de La Baudraye un tapis façonné comme un cachemire, un meuble pompadour à bois dorés, des rideaux de brocatelle aux fenêtres, et sur une table ronde un cornet japonais plein de fleurs au milieu de quelques livres nouveaux ; lorsqu’on entendit la belle Dinah jouant à livre ouvert sans exécuter la moindre cérémonie pour se mettre au piano, l’idée qu’on se faisait de sa supériorité prit de grandes proportions. Pour ne jamais se laisser gagner par l’incurie et par le mauvais goût, Dinah avait résolu de se tenir au courant des modes et des moindres révolutions du luxe en entretenant une active correspondance avec Anna Grossetête, son amie de cœur au pensionnat Chamarolles. Fille unique du Receveur Général de Bourges, Anna, grâce à sa fortune, avait épousé le troisième fils du comte de Fontaine. Les femmes, en venant à La Baudraye, y furent alors constamment blessées par la priorité que Dinah sut s’attribuer en fait de modes ; et quoi qu’elles fissent, elles se virent toujours en arrière, ou, comme disent les amateurs de courses, distancées. Si toutes ces petites choses causèrent une maligne envie chez les femmes de Sancerre, la conversation et l’esprit de Dinah engendrèrent une véritable aversion. Dans le désir d’entretenir son intelligence au niveau du mouvement parisien, madame de La Baudraye ne souffrit chez personne ni propos vides, ni galanterie arriérée, ni phrases sans valeur ; elle se refusa net au clabaudage des petites nouvelles, à cette médisance de bas étage qui fait le fond de la langue en province. Aimant à parler des découvertes dans la science ou dans les arts, des œuvres fraîchement écloses au théâtre, en poésie, elle parut remuer des pensées en remuant les mots à la mode.

L’abbé Duret, curé de Sancerre, vieillard de l’ancien clergé de France, homme de bonne compagnie à qui le jeu ne déplaisait pas, n’osait se livrer à son penchant dans un pays aussi libéral que Sancerre, il fut donc très-heureux de l’arrivée de madame de La Baudraye, avec laquelle il s’entendit admirablement. Le Sous-Préfet, un vicomte de Chargebœuf, fut enchanté de trouver dans le salon de ma-