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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

de la rive droite et celle de la rive gauche de la Seine ; mais en province il n’y a qu’une femme, et cette pauvre femme est la femme de province. Cette observation indique une des grandes plaies de notre société moderne. Sachons-le bien ! la France au dix-neuvième siècle est partagée en deux grandes zones : Paris et la province ; la province jalouse de Paris, Paris ne pensant à la province que pour lui demander de l’argent. Autrefois, Paris était la première ville de province, la Cour primait la Ville ; maintenant Paris est toute la Cour, la Province est toute la Ville. Quelque grande, quelque belle, quelque forte que soit à son début une jeune fille née dans un département quelconque ; si, comme Dinah Piédefer, elle se marie en province et si elle y reste, elle devient bientôt femme de province. Malgré ses projets arrêtés, les lieux communs, la médiocrité des idées, l’insouciance de la toilette, l’horticulture des vulgarités envahissent l’être sublime caché dans cette âme neuve, et tout est dit, la belle plante dépérit. Comment en serait-il autrement ? Dès leur bas âge, les jeunes filles de province ne voient que des gens de province autour d’elles, elles n’inventent pas mieux, elles n’ont à choisir qu’entre des médiocrités, les pères de province ne marient leurs filles qu’à des garçons de province ; personne n’a l’idée de croiser les races, l’esprit s’abâtardit nécessairement ; aussi, dans beaucoup de villes, l’intelligence est-elle devenue aussi rare que le sang y est laid. L’homme s’y rabougrit sous les deux espèces, car la sinistre idée des convenances de fortune y domine toutes les conventions matrimoniales. Les gens de talent, les artistes, les hommes supérieurs, tout coq à plumes éclatantes s’envole à Paris. Inférieure comme femme, une femme de province est encore inférieure par son mari. Vivez donc heureuse avec ces deux pensées écrasantes ? Mais l’infériorité conjugale et l’infériorité radicale de la femme de province sont aggravées d’une troisième et terrible infériorité qui contribue à rendre cette figure sèche et sombre, à la rétrécir, à l’amoindrir, à la grimer fatalement. L’une des plus agréables flatteries que les femmes s’adressent à elles-mêmes n’est-elle pas la certitude d’être pour quelque chose dans la vie d’un homme supérieur choisi par elles en connaissance de cause, comme pour prendre leur revanche du mariage où leurs goûts ont été peu consultés ? Or, en province, s’il n’y a point de supériorité chez les maris, il en existe encore moins chez les célibataires. Aussi, quand la femme de province commet sa petite faute, s’est-elle tou-