Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

tonne, il acheva de scier les barreaux, attacha solidement sa corde, s’accroupit à l’extérieur sur le support de pierre, en se cramponnant d’une main au bout de fer qui restait dans la baie. Puis il attendit ainsi le moment le plus obscur de la nuit et l’heure à laquelle les sentinelles doivent dormir. C’est vers le matin, à peu près. Il connaissait la durée des factions, l’instant des rondes, toutes choses dont s’occupent les prisonniers, même involontairement. Il guetta le moment où l’une des sentinelles serait aux deux tiers de sa faction et retirée dans sa guérite, à cause du brouillard. Certain d’avoir réuni toutes les chances favorables à son évasion, il se mit alors à descendre, nœud à nœud, suspendu entre le ciel et la terre, en tenant sa corde avec une force de géant. Tout alla bien. À l’avant-dernier nœud, au moment de se laisser couler à terre, il s’avisa, par une pensée prudente, de chercher le sol avec ses pieds, et ne trouva pas de sol. Le cas était assez embarrassant pour un homme en sueur, fatigué, perplexe, et dans une situation où il s’agissait de jouer sa vie à pair ou non. Il allait s’élancer. Une raison frivole l’en empêcha : son chapeau venait de tomber, heureusement il écouta le bruit que sa chute devait produire, et il n’entendit rien ! Le prisonnier conçut de vagues soupçons sur sa position ; il se demanda si le commandant ne lui avait pas tendu quelque piége : mais dans quel intérêt ? En proie à ces incertitudes, il songea presque à remettre la partie à une autre nuit. Provisoirement, il résolut d’attendre les clartés indécises du crépuscule ; heure qui ne serait peut-être pas tout à fait défavorable à sa fuite. Sa force prodigieuse lui permit de grimper vers le donjon ; mais il était presque épuisé au moment où il se remit sur le support extérieur, guettant tout comme un chat sur le bord d’une gouttière. Bientôt, à la faible clarté de l’aurore, il aperçut, en faisant flotter sa corde, une petite distance de cent pieds entre le dernier nœud et les rochers pointus du précipice. — Merci, commandant ! dit-il avec le sang-froid qui le caractérisait. Puis, après avoir quelque peu réfléchi à cette habile vengeance, il jugea nécessaire de rentrer dans son cachot. Il mit sa défroque en évidence sur son lit, laissa la corde en dehors pour faire croire à sa chute ; il se tapit tranquillement derrière la porte, et attendit l’arrivée du perfide guichetier en tenant à la main une des barres de fer qu’il avait sciées. Le guichetier, qui ne manqua pas de venir plus tôt qu’à l’ordinaire pour recueillir la succession du mort, ouvrit la porte en sifflant ; mais, quand il fut à une distance convenable,