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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Madame Piédefer quitta la table à thé pour venir dire à sa fille : — Va donc parler à ces dames, elles sont très-choquées de ta conduite.

Lousteau ne put s’empêcher de remarquer alors l’évidente supériorité de Dinah sur l’élite des femmes de Sancerre : elle était la mieux mise, ses mouvements étaient pleins de grâce, son teint prenait une délicieuse blancheur aux lumières, elle se détachait enfin sur cette tapisserie de vieilles faces, de jeunes filles mal habillées, à tournures timides, comme une reine au milieu de sa cour. Les images parisiennes s’effaçaient, Lousteau se faisait à la vie de province ; et, s’il avait trop d’imagination pour ne pas être impressionné par les magnificences royales de ce château, par ses sculptures exquises, par les antiques beautés de l’intérieur, il avait aussi trop de savoir pour ignorer la valeur du mobilier qui enrichissait ce joyau de la Renaissance. Aussi lorsque les Sancerrois se furent retirés un à un reconduits par Dinah, car ils avaient tous pour une heure de chemin ; quand il n’y eut plus au salon que le Procureur du Roi, monsieur Lebas, Gatien et monsieur Gravier qui couchaient à Anzy, le journaliste avait-il déjà changé d’opinion sur Dinah. Sa pensée accomplissait cette évolution que madame de La Baudraye avait eu l’audace de lui signaler à leur première rencontre.

— Ah ! comme ils vont en dire contre nous pendant le chemin, s’écria la châtelaine en rentrant au salon après avoir mis en voiture le Président, la Présidente, madame et mademoiselle Popinot-Chandier.

Le reste de la soirée eut son côté réjouissant ; car en petit comité, chacun versa dans la conversation son contingent d’épigrammes sur les diverses figures que les Sancerrois avaient faites pendant les commentaires de Lousteau sur l’enveloppe de ses épreuves.

— Mon cher, dit en se couchant Bianchon à Lousteau (on les avait mis ensemble dans une immense chambre à deux lits), tu seras l’heureux mortel choisi par cette femme, née Piédefer !

— Tu crois ?

— Eh ! cela s’explique : tu passes ici pour avoir eu beaucoup d’aventures à Paris, et, pour les femmes, il y a dans un homme à bonnes fortunes je ne sais quoi d’irritant qui les attire et le leur rend agréable ; est-ce la vanité de faire triompher leurs souvenirs entre tous les autres ? s’adressent-elles à son expérience, comme un malade surpaye un célèbre médecin ? ou bien sont-elles flattées d’éveiller un cœur blasé ?