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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Que t’arrive-t-il ? un dividende anticipé. C’est la mode ! Si tu veux m’en croire, il faut venir dîner demain chez Malaga. Tu y verras ton beau-père, il saura l’indiscrétion, censée commise par Malaga contre laquelle il ne peut pas se fâcher, et tu le domines alors. Quant à ta femme… Eh !… mais sa faute te laisse garçon…

— Ah ! ton langage n’est pas plus hypocrite qu’un boulet de canon.

— Je t’aime pour toi, voilà tout, et je raisonne. Eh ! bien, qu’as-tu à rester là comme un Abd-el-Kader en cire ? Il n’y a pas à réfléchir. C’est pile ou face, le mariage. Eh ! bien, tu as tiré pile ?

— Tu auras ma réponse demain, dit Lousteau.

— J’aimerais mieux l’avoir tout de suite, Malaga ferait l’article pour toi ce soir.

— Eh ! bien, oui…

Lousteau passa la soirée à écrire à la marquise une longue lettre où il lui disait les raisons qui l’obligeaient à se marier : sa constante misère, la paresse de son imagination, les cheveux blancs, sa fatigue morale et physique, enfin quatre pages de raisons.

— Quant à Dinah, je lui enverrai le billet de faire part, se dit-il. Comme dit Bixiou, je n’ai pas mon pareil pour savoir couper la queue à une passion…

Lousteau, qui fit d’abord des façons avec lui-même, en était arrivé le lendemain à craindre que ce mariage manquât. Aussi fut-il charmant avec le Notaire.

— J’ai connu, lui dit-il, monsieur votre père chez Florentine, je devais vous connaître chez mademoiselle Turquet. Bon chien chasse de race. Il était très-bon enfant et philosophe, le petit père Cardot, car (vous permettez) nous l’appelions ainsi. Dans ce temps-là Florine, Florentine Tullia, Coralie et Mariette étaient comme les cinq doigts de la main… Il y a de cela maintenant quinze ans. Vous comprenez que mes folies ne sont plus à faire… Dans ce temps là, le plaisir m’emportait, j’ai de l’ambition aujourd’hui ; mais, nous sommes dans une époque où pour parvenir il faut être sans dettes, avoir une fortune, femme et enfants. Si je paye le cens, si je suis propriétaire de mon journal au lieu d’en être un rédacteur, je deviendrai député tout comme tant d’autres !

Maître Cardot goûta cette profession de foi. Lousteau s’était mis sous les armes, il plut au Notaire, qui, chose assez facile à conce-