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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

belles pendant le moment où elles vivent les pieds dans l’opulence. Néanmoins la vie de ménage eut de grands attraits pour Étienne. En trois mois, la mère et la fille, aidées par la cuisinière venue de Sancerre et par la petite Paméla, donnèrent à l’appartement un aspect tout nouveau. Le journaliste y trouva son déjeuner, son dîner servis avec une sorte de luxe. Dinah, belle et bien mise, avait soin de prévenir les goûts de son cher Étienne, qui se sentit le roi du logis où tout jusqu’à l’enfant fut subordonné, pour ainsi dire, à son égoïsme. La tendresse de Dinah éclatait dans les plus petites choses, il fut donc impossible à Lousteau de ne pas lui continuer les charmantes tromperies de sa passion feinte. Cependant Dinah prévit dans la vie extérieure où Lousteau se laissait engager, une cause de ruine et pour son amour et pour le ménage. Après dix mois de nourriture, elle sevra son fils, remit sa mère dans l’appartement d’Étienne, et rétablit cette intimité qui lie indissolublement un homme à une femme quand une femme est aimante et spirituelle. Un des traits les plus saillants de la Nouvelle due à Benjamin Constant, et l’une des explications de l’abandon d’Ellénore est ce défaut d’intimité journalière ou nocturne, si vous voulez, entre elle et Adolphe. Chacun des deux amants a son chez soi, l’un et l’autre ont obéi au monde, ils ont gardé les apparences. Ellénore, périodiquement quittée, est obligée à d’énormes travaux de tendresse pour chasser les pensées de liberté qui saisissent Adolphe au dehors. Le perpétuel échange des regards et des pensées dans la vie en commun donne de telles armes aux femmes que, pour les abandonner, un homme doit objecter des raisons majeures qu’elles ne fournissent jamais tant qu’elles aiment.

Ce fut tout une nouvelle période et pour Étienne et pour Dinah. Dinah voulut être nécessaire, elle voulut rendre de l’énergie à cet homme dont la faiblesse lui souriait, elle y voyait des garanties. Elle lui trouva des sujets, elle lui en dessina les canevas ; et, au besoin, elle lui écrivit des chapitres entiers. Elle rajeunit les veines de ce talent à l’agonie par un sang frais, elle lui donna ses idées, ses jugements ; enfin, elle fit deux livres qui eurent du succès. Plus d’une fois elle sauva l’amour-propre d’Étienne au désespoir de se sentir sans idées, en lui dictant, lui corrigeant, ou lui finissant ses feuilletons. Le secret de cette collaboration fut inviolablement gardé : madame Piédefer n’en sut rien. Ce galvanisme moral fut récompensé par un surcroît de re-