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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

nore. Il est des Adolphe qui font grâce à leur Ellénore des querelles déshonorantes, des plaintes, et qui se disent : Je ne parlerai pas de ce que j’ai perdu ! je ne montrerai pas toujours à l’Égoïsme que j’ai couronné mon poing coupé comme fait le Ramorny de la Jolie Fille de Perth, mais ceux-là, ma chère, on les quitte… Adolphe est un fils de bonne maison, un cœur aristocrate qui veut rentrer dans la voie des honneurs, des places et rattraper sa dot sociale, sa considération compromise. Vous jouez en ce moment à la fois les deux personnages. Vous ressentez la douleur que cause une position perdue, et vous vous croyez en droit d’abandonner un pauvre amant qui a eu le malheur de vous croire assez supérieure pour admettre que si chez l’homme le cœur doit être constant, le sexe peut se laisser aller à des caprices…

— Et croyez-vous que je ne serai pas occupée de vous rendre ce que je vous ai fait perdre ? Soyez tranquille, répondit madame de La Baudraye foudroyée par cette sortie, votre Ellénore ne meurt pas, et si Dieu lui prête vie, si vous changez de conduite, si vous renoncez aux lorettes et aux actrices, nous vous trouverons mieux qu’une Félicie Cardot.

Chacun des deux amants devint maussade : Lousteau jouait la tristesse, il voulait paraître sec et froid ; tandis que Dinah, vraiment triste, écoutait les reproches de son cœur.

— Pourquoi, dit Lousteau, ne pas finir comme nous aurions dû commencer, cacher à tous les yeux notre amour, et nous voir secrètement ?

— Jamais ! dit la nouvelle comtesse en prenant un air glacial. Ne devinez-vous pas que nous sommes, après tout, des êtres finis. Nos sentiments nous paraissent infinis à cause du pressentiment que nous avons du ciel ; mais ils ont ici-bas pour limites les forces de notre organisation. Il est des natures molles et lâches qui peuvent recevoir un nombre infini de blessures et persister ; mais il en est de plus fortement trempées qui finissent par se briser sous les coups. Vous m’avez…

— Oh ! assez, dit-il, ne faisons plus de copie !… Votre article me semble inutile, car vous pouvez vous justifier par un seul mot : Je n’aime plus !

— Ah ! c’est moi qui n’aime plus !… s’écria-t-elle étourdie.

— Certainement. Vous avez calculé que je vous causais plus de chagrins, plus d’ennuis que de plaisirs, et vous quittez votre associé…