Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
503
LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

idole mûrie par le malheur, pâlie par les remords, et alors dans tout l’éclat d’une beauté reconquise et par sa vie luxueuse et par sa maternité.

Le dévoué magistrat, soutenu dans son œuvre par la mère et par le curé de la paroisse, était admirable en expédients. Il servait chaque mercredi quelque célébrité d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie ou de Prusse à sa chère comtesse ; il la donnait pour une femme hors ligne à des gens auxquels elle ne disait pas deux mots ; mais qu’elle écoutait avec une si profonde attention qu’ils s’en allaient convaincus de sa supériorité. Dinah vainquit à Paris par le silence, comme à Sancerre par sa loquacité. De temps en temps, une épigramme sur les choses ou quelque observation sur les ridicules révélait une femme habituée à manier les idées, et qui quatre ans auparavant avait rajeuni le feuilleton de Lousteau. Cette époque fut pour la passion du pauvre magistrat comme cette saison nommée l’été de la Saint-Martin dans les années sans soleil. Il se fit plus vieillard qu’il ne l’était pour avoir le droit d’être l’ami de Dinah sans lui faire tort ; mais comme s’il eût été jeune, beau, compromettant, il se mettait à distance en homme qui devait cacher son bonheur. Il essayait de couvrir du plus profond secret ses petits soins, ses légers cadeaux que Dinah montrait au grand jour. Il tâchait de donner des significations dangereuses à ses moindres obéissances.

— Il joue à la passion, disait la comtesse en riant.

Elle se moquait de monsieur de Clagny devant lui, et le magistrat se disait : — Elle s’occupe de moi !

— Je fais une si grande impression à ce pauvre homme, disait-elle en riant à sa mère, que si je lui disais oui, je crois qu’il dirait non.

Un soir monsieur de Clagny ramenait en compagnie de sa femme sa chère comtesse profondément soucieuse. Tous trois venaient d’assister à la première représentation de la Main droite et la Main gauche, le premier drame de Léon Gozlan.

— À quoi pensez-vous ? demanda le magistrat effrayé de la mélancolie de son idole.

La persistance de la tristesse cachée mais profonde qui dévorait la comtesse était un mal dangereux que l’Avocat-Général ne savait pas combattre, car le véritable amour est souvent maladroit, surtout quand il n’est pas partagé. Le véritable amour emprunte sa forme au caractère. Or, le digne magistrat aimait à la manière d’Alceste, quand madame de La Baudraye voulait être aimée à la ma-