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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

nière de Philinte. Les lâchetés de l’amour s’accommodent fort peu de la loyauté du Misanthrope. Aussi Dinah se gardait-elle bien d’ouvrir son cœur à son Patito. Comment oser avouer qu’elle regrettait parfois son ancienne fange ? Elle sentait un vide énorme dans la vie du monde, elle ne savait à qui rapporter ses succès, ses triomphes, ses toilettes. Parfois les souvenirs de ses misères revenaient mêlés au souvenir de voluptés dévorantes. Elle en voulait parfois à Lousteau de ne pas s’occuper d’elle, elle aurait voulu recevoir de lui des lettres ou tendres ou furieuses.

Dinah ne répondant pas, le magistrat répéta sa question en prenant la main de la comtesse et la lui serrant entre les siennes d’un air dévot.

— Voulez-vous la main droite ou la main gauche ? répondit-elle en souriant.

— La main gauche, dit-il, car je présume que vous parlez du mensonge et de la vérité.

— Eh ! bien, je l’ai vu, lui répliqua-t-elle en parlant de manière à n’être entendu que du magistrat. En l’apercevant triste, profondément découragé, je me suis dit : A-t-il des cigares ? a-t-il de l’argent ?

— Eh ! Si vous voulez la vérité, je vous dirai, s’écria monsieur de Clagny, qu’il vit maritalement avec Fanny Beaupré. Vous m’arrachez cette confidence !… je ne vous l’aurais jamais appris : vous auriez cru peut-être à quelque sentiment peu généreux chez moi.

Madame de La Baudraye donna une poignée de main à l’Avocat-Général.

— Vous avez pour mari, dit-elle à son chaperon, un des hommes les plus rares. Ah ! pourquoi…

Et elle se cantonna dans son coin en regardant par les glaces du coupé ; mais elle supprima le reste de sa phrase que l’Avocat-Général devina : Pourquoi Lousteau n’a-t-il pas un peu de la noblesse de cœur de votre mari !…

Néanmoins cette nouvelle dissipa la mélancolie de madame de La Baudraye, qui se jeta dans la vie des femmes à la mode ; elle voulut avoir du succès, et elle en obtint ; mais elle faisait peu de progrès dans le monde des femmes ; elle éprouvait des difficultés à s’y produire. Au mois de mars, les prêtres amis de madame Piédefer et l’Avocat-Général frappèrent un grand coup en faisant nommer