Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/75

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prenant que cet homme dévoué ne possédait rien que sa place, il reconnut une de ces âmes incorruptibles qui rehaussaient, qui moralisaient son administration, et il voulut surprendre Bridau par d’éclatantes récompenses. Le désir de terminer un immense travail avant le départ de l’Empereur pour l’Espagne tua le Chef de Division, qui mourut d’une fièvre inflammatoire. À son retour, l’Empereur, qui vint préparer en quelques jours à Paris sa campagne de 1809, dit en apprenant cette perte : — Il y a des hommes qu’on ne remplace jamais ! Frappé d’un dévouement que n’attendait aucun de ces brillants témoignages réservés à ses soldats, l’Empereur résolut de créer un Ordre richement rétribué pour le civil comme il avait créé la Légion-d’Honneur pour le militaire. L’impression produite sur lui par la mort de Bridau lui fit imaginer l’Ordre de la Réunion ; mais il n’eut pas le temps d’achever cette création aristocratique dont le souvenir est si bien aboli, qu’au nom de cet ordre éphémère, la plupart des lecteurs se demanderont quel en était l’insigne : il se portait avec un ruban bleu. L’empereur appela cet ordre la Réunion dans la pensée de confondre l’ordre de la Toison-d’Or de la cour d’Espagne avec l’ordre de la Toison-d’Or de la cour d’Autriche. La Providence, a dit un diplomate prussien, a su empêcher cette profanation. L’Empereur se fit rendre compte de la situation de madame Bridau. Les deux enfants eurent chacun une bourse entière au lycée Impérial, et l’Empereur mit tous les frais de leur éducation à la charge de sa cassette. Puis il inscrivit madame Bridau pour une pension de quatre mille francs, en se réservant sans doute de veiller à la fortune des deux fils. Depuis son mariage jusqu’à la mort de son mari, madame Bridau n’eut pas la moindre relation avec Issoudun. Elle était sur le point d’accoucher de son second fils au moment où elle perdit sa mère. Quand son père, de qui elle se savait peu aimée, mourut, il s’agissait du sacre de l’Empereur, et le couronnement donna tant de travail à Bridau qu’elle ne voulut pas quitter son mari. Jean-Jacques Rouget, son frère, ne lui avait pas écrit un mot depuis son départ d’Issoudun. Tout en s’affligeant de la tacite répudiation de sa famille, Agathe finit par penser très-rarement à ceux qui ne pensaient point à elle. Elle recevait tous les ans une lettre de sa marraine, madame Hochon, à laquelle elle répondait des banalités, sans étudier les avis que cette excellente et pieuse femme lui donnait à mots couverts. Quelque temps avant la mort du docteur Rouget, madame Hochon écri-