Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/110

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dinaire dans ses jeux. Lorsqu’une lutte s’élevait entre un camarade et lui, rarement le combat finissait sans qu’il y eût du sang répandu. S’il était le plus faible, il mordait. Tour à tour agissant ou passif, sans aptitude ou trop intelligent, son caractère bizarre le fit redouter de ses maîtres autant que de ses camarades. Au lieu d’apprendre les éléments de la langue grecque, il dessinait le révérend père qui leur expliquait un passage de Thucydide, croquait le maître de mathématiques, le préfet, les valets, le correcteur, et barbouillait tous les murs d’esquisses informes. Au lieu de chanter les louanges du Seigneur à l’église, il s’amusait, pendant les offices, à déchiqueter un banc ; ou quand il avait volé quelque morceau de bois, il sculptait quelque figure de sainte. Si le bois, la pierre ou le crayon lui manquaient, il rendait ses idées avec de la mie de pain. Soit qu’il copiât les personnages des tableaux qui garnissaient le chœur, soit qu’il improvisât, il laissait toujours à sa place de grossières ébauches, dont le caractère licencieux désespérait les plus jeunes pères ; et les médisants prétendaient que les vieux jésuites en souriaient. Enfin, s’il faut en croire la chronique du collége, il fut chassé, pour avoir, en attendant son tour au confessionnal, un vendredi saint, sculpté une grosse bûche en forme de Christ. L’impiété gravée sur cette statue était trop forte pour ne pas attirer un châtiment à l’artiste. N’avait-il pas eu l’audace de placer sur le haut du tabernacle cette figure passablement cynique ! Sarrasine vint chercher à Paris un refuge contre les menaces de la malédiction paternelle. Ayant une de ces volontés fortes qui ne connaissent pas d’obstacles, il obéit aux ordres de son génie et entra dans l’atelier de Bouchardon. Il travaillait pendant toute la journée, et, le soir, allait mendier sa subsistance. Bouchardon, émerveillé des progrès et de l’intelligence du jeune artiste, devina bientôt la misère dans laquelle se trouvait son élève ; il le secourut, le prit en affection, et le traita comme son enfant. Puis, lorsque le génie de Sarrasine se fut dévoilé par une de ces œuvres où le talent à venir lutte contre l’effervescence de la jeunesse, le généreux Bouchardon essaya de le remettre dans les bonnes grâces du vieux procureur. Devant l’autorité du sculpteur célèbre le courroux paternel s’apaisa. Besançon tout entier se félicita d’avoir donné le jour à un grand homme futur. Dans le premier moment d’extase où le plongea sa vanité flattée, le praticien avare mit son fils en état de paraître avec avantage dans le monde. Les longues et laborieu-