Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/156

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— Écoutez, mon cher oncle, je ne vous ai jamais demandé le moindre petit service qui eût trait à vos fonctions judiciaires ; eh ! bien, je vous prie d’avoir pour madame d’Espard une complaisance que mérite sa situation. Si elle venait ici, vous l’écouteriez ?

— Oui.

— Eh ! bien, allez l’entendre chez elle : madame d’Espard est une femme maladive, nerveuse, délicate, qui se trouverait mal dans votre nid à rats. Allez-y le soir, au lieu d’y accepter à dîner, puisque la loi vous défend de boire et de manger chez vos justiciables.

— La loi ne vous défend-elle pas de recevoir des legs de vos morts ? dit Popinot croyant apercevoir une teinte d’ironie sur les lèvres de son neveu.

— Allons, mon oncle, quand ce ne serait que pour deviner le vrai de cette affaire, accordez-moi ma demande ? Vous viendrez là comme juge d’instruction, puisque les choses ne vous semblent pas claires. Diantre ! l’interrogatoire de la marquise n’est pas moins nécessaire que celui de son mari.

— Tu as raison, dit le magistrat, elle pourrait bien être la folle. J’irai.

— Je viendrai vous prendre ; écrivez sur votre agenda : Demain soir à neuf heures chez madame d’Espard. Bien, dit Bianchon en voyant son oncle notant le rendez-vous.

Le lendemain soir, à neuf heures, le docteur Bianchon monta le poudreux escalier de son oncle, et le trouva travaillant à la rédaction de quelque jugement épineux. L’habit demandé par Lavienne n’avait pas été apporté par le tailleur, en sorte que Popinot prit son vieil habit plein de taches et fut le Popinot incomptus dont l’aspect excitait le rire sur les lèvres de ceux auxquels sa vie intime était inconnue. Bianchon obtint cependant de mettre en ordre la cravate de son oncle et de lui boutonner son habit, il en cacha les taches en croisant les revers des basques de droite à gauche et présentant ainsi la partie encore neuve du drap. Mais en quelques instants le juge retroussa son habit sur sa poitrine par la manière dont il mit ses mains dans ses goussets en obéissant à son habitude. L’habit, démesurément plissé par-devant et par derrière, forma comme une bosse au milieu du dos, et produisit entre le gilet et le pantalon une solution de continuité par laquelle se montra la chemise. Pour son malheur, Bianchon ne s’aperçut de